Quelle réponse contre le Rwanda
  • dim, 12/05/2024 - 16:21

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1608|VENDREDI 10 MAI 2024.

S'il faut en reculer l'échéance, allons à la réponse pour l'honneur.

Mille fois, le Président de la République a usé de mots forts, inattendus par le Congo à l'égard du Rwanda. Lors de la campagne électorale à son meeting à Bukavu, à la frontière rwandaise, comme dans la Capitale Kinshasa, en fin de campagne, lors du meeting, il s'est poussé plus loin encore. À Bukavu, il avait traité publiquement Paul Kagame d'Adolf Hitler lui promettant le sort réservé au chancelier de l'Holocauste.

À Kinshasa, il avait juré qu'à la moindre escarmouche, il déclarerait la guerre au Rwanda après avoir sollicité et obtenu l'autorisation des deux Chambres législatives ; qu'il n'avait nullement besoin d'envoyer des troupes au sol puisque les FARDC, Forces Armées congolaises, grâce à une nouvelle puissance de feu acquise, pouvaient désormais frapper le Rwanda depuis le Congo.

Lors de son tout récent déplacement en Europe, en Allemagne, en France, en Belgique, le Chef de l'État n'a pas été plus tendre à l'égard du régime rwandais. Sur la chaîne allemande DW, la Deutsche Welle, dans une interview au quotidien conservateur français Le Figaro, à la chaîne commerciale conservatrice française LCI, face au journaliste de père iranien et de mère suisse, Darius Rochebin, certainement le plus suivi des chaînes de télévision françaises d'informations en continu, le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est resté très coriace même s'il a fait savoir que contacté par des partenaires de son pays, il avait décidé de donner une chance - mais «la dernière» - à la paix.

Sur la DW, sur une rencontre éventuelle avec Kagame : « Il y a maintenant une tentative que nous, nous estimons être de la dernière chance. Et moi (...), je donne la chance à la paix. Le plus possible».

Au Figaro, sur la guerre avec le Rwanda : « Bien sûr, qu'une guerre est possible, je ne vous le cache pas. Mais je veux reculer cette échéance le plus loin possible car je préfère mettre toute notre énergie et nos richesses au profit du développement des 145 territoires de la RDC plutôt que dans l'effort militaire ».

Pays agressé depuis trente ans par ses voisins, en tête le Rwanda (deux marches sur la Capitale, la première de l'Afdl de 1996 à 1997, la deuxième du RCD de 1998 à 2006 qui tenta en vain de s'emparer du pouvoir à Kinshasa, plusieurs groupes armés pro-rwandais, CNDP, M23, AFC), conflit qui a fait dix fois plus de morts au Congo que le génocide rwandais, 7 avril-17 juillet 1994, le président de la République peut-il/va-t-il passer de la parole aux actes ?

Certes, il faut se remémorer ses paroles ci-après : «Moi, je donne la chance à la paix. Le plus possible». Lors des rencontres avec ses compatriotes à Kigali et devant d'autres instances, Paul Kagame se moque du Congo dans ses prises de parole publiques.
Il déclare que des dirigeants qui ne savent/ne peuvent pas donner à manger et à boire à leur population, comment sauraient-ils attaquer un autre pays et avec quels moyens, suscitant des ovations.

LA CRÉDIBILITÉ MISE EN DOUTE.
Si le Congo est de loin naturellement plus riche que le Rwanda - son sol, son sous-sol, son étendue géographique, sa population - même s'il est connu comme le pays qui mit fin à la première offensive de l'alors groupe armé rebelle rwandais, le FPR, Front Patriotique Rwandais, venu de l'Ouganda pour s'emparer du pouvoir à Kigali aux mains des Hutus majoritaires dans le pays, neutralisant le chef du FPR, Fred Rwigema, dès le deuxième jour du lancement le 1er octobre 1990 d'une offensive qui marque le début de la guerre civile rwandaise, le Congo dispose-t-il aujourd'hui de la même puissance militaire qu'en 1990 ?

La mort dans les combats de Fred Rwigema, né Emmanuel Gisa, l'un des fondateurs du FPR, considéré au Rwanda comme un héros, fut une tragédie pour les rebelles Tutsis. Le FPR/APR s'arrêta net, repartit d'où il était venu mais en rappelant des États-Unis, sur ordre du président ougandais Yoweri Museveni, l'alors jeune Tutsi Paul Kagame qui stoppait son stage de commandement militaire à Fort Leavenworth, au Kansas.

Des biographes du dirigeant rwandais renseignent que porté à la tête du FPR, Kagame connut des victoires comme des défaites. S'il négocie les accords d'Arusha, en Tanzanie, avec le pouvoir Hutu en vue de mettre un terme à la guerre civile, il opte pour la stratégie de fight and talk (faire la guerre et le dialogue en même temps avec ses ennemis). Peu avant ces négociations et alors qu'il se rend mi-septembre 1991 à Paris, Kagame est arrêté pour terrorisme.
Il revenait d'une réunion avec deux conseillers du gouvernement français en charge de questions africaines à l'Élysée, Jean-Christophe Mitterrand et Paul Dijoud.

« Les accompagnateurs du major Kagame, qui circulaient avec des valises de billets, s’étaient fait repérer par la police et ont été arrêtés, sans que le Quai d’Orsay en ait été averti, puis libérés le soir après l’intervention du ministre des Affaires étrangères», confie Paul Dijou. Paul Kagame affirme que ce conseiller de l'Élysée l'avait averti que s'il n'arrêtait pas les combats au Rwanda, tous les siens seraient massacrés. Mais l'attentat en 1994 contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, de retour des négociations d'Arusha, accélère les progrès du FPR vers la victoire militaire et cela survient malgré un nombre d'hommes inférieur (15.000 contre 50.000 pour le pouvoir) et des moyens militaires plus limités.

Cet épisode de l'histoire du Rwanda, le fight and talk, des menaces occidentales qui n'empêchent pas la prise du pouvoir, fonde-t-il la stratégie rwandaise au Congo?

Comment expliquer qu'alors que deux Capitales parmi les plus importantes à Kigali, Paris et Washington, changent de ton en montant en première ligne contre la guerre au Kivu, que les militaires rwandais continuent d'être présents sur le territoire congolais aux côtés du M23 et de l'AFC et que, pire, ils viennent à larguer des bombes trois fois de suite à ce jour dont les plus tragiques sont celles lâchées le 3 mai sur Mugunga, dans la périphérie de Goma, sur un camp de déplacés de guerre, tuant trente-cinq personnes dont des enfants, en blessant une trentaine ?

Comment un pays qui vit de l'aide internationale peut-il continuer à boucher ses oreilles face à ses pairs africains et face aux États-Unis? Après l’attaque de Mugunga, le porte-parole du département d'État, Matthew Miller a accusé nommément des forces armées rwandaises, l'armée régulière, ainsi que le M23 pro-rwandais.

« The U.S. strongly condemns the attack today from Rwanda Defense Forces and M23 positions on the Mugunga camp for Internally Displaced Persons in eastern Democratic Republic of the Congo. It is essential that all states respect each other’s sovereignty and territorial integrity ». - Matthew Miller, @StateDeptSpox, May 3, 2024.

Jamais auparavant, Washington n’avait aussi précisément fait mention d’une implication directe du régime de Kagame dans la guerre au Congo. Cela en dit long sur la suite des événements ?
Certes, la porte-parole de Paul Kagame, Yolande Makolo, a reçu les mots du pouvoir en qualifiant la déclaration américaine de «ridicule» et d'«absurde» attribuant ces bombardements aux rebelles Hutus des FDLR, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda et aux milices Wazalendo qui, explique-t-elle, sont soutenues par les forces armées congolaises.

«This is ridiculous Matthew, how do you come to this absurd conclusion ? The RDF, a professional army, would never attack an IDP camp. Look to the lawless FDLR & Wazalendo supported by the FARDC, for this kind of atrocity», @YolandeMakolo May 4, 2024.

Viendra, viendra pas cette réponse militaire musclée de Kinshasa ?
Qu'elle mette du temps ou pas, et même si la paix est préférable à la guerre, une vérité s'impose aux yeux de tous : aucun Congolais ne comprend/ne comprendra une absence de réponse de Kinshasa. Tout dans la vie est question de puissance. Que cela prenne du temps ou pas. Mais on ne frappe pas partout. Pas n'importe où. Pas n'importe comment. Pas n'importe quand. Le droit international veille.

S'il faut frapper, il faut s'assurer de tout, disposer d'alliés. C'est le cas d'Israël à Gaza. Il y a occasion et opportunité.
Reste cette phrase de Macron prononcée le 4 mars 2023 à la conférence de presse commune du Palais du Peuple avec le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Qui glace le sang...

« Depuis 1994 - pardon de le dire dans des termes aussi crus - vous n’avez jamais été capables de restaurer la souveraineté ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative de votre pays. C’est une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur, dans cette affaire ».

Macron n'est pas le seul dirigeant du monde à penser ainsi. Pour l'honneur et la dignité du Congo et des Congolais, s'il faut reculer l'échéance de la réponse, il faut aller à la réponse.


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