Guerres éternelles Belgo-Congolaises
  • ven, 09/02/2018 - 06:45

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Conduit à la mort pour avoir dénoncé le caoutchouc rouge.
Si, dans l’histoire, il y a eu des colonisations exemplaires, celle qui s’est abattue sur le Congo menée par Léopold II dès la conférence de Berlin en 1885 avec la complicité de Bismarck et des puissants européens, puis, après le désaveu planétaire, par le Gouvernement belge dès 1908, ne l’a jamais été.
Sur la question, tous les historiens sont unanimes. Même le Grand Laïc Catholique, Isidore Ndaywell è Nziem, 74 ans, entré en guerre aujourd’hui contre le Gouvernement congolais et hélas! en clandestinité, soutenu paradoxalement par le Gouvernement belge, l’a craché, dans des termes très forts.
Ce fut à Tervuren, banlieue bruxelloise, lors d’une conférence historique, devant des personnalités belges de haut rang dont, en première ligne, le comte Étienne Davignon, homme d’État proche de la famille royale et puissant homme d’affaires très impliqué sur le Congo et des scientifiques.

DU SANG.
«Avec ce qui a été dit, bien dit par ceux qui m’ont précédé, logiquement, la Belgique ne pourrait que présenter ses regrets et faire amende honorable. Car ses réalisations ne compensent en rien les torts et les crimes commis surtout que contrairement aux autres pays africains, le Congo Belge avait financé lui-même sa propre colonisation suivant les prescrits sacro-saints de la Charte coloniale. évoquer tout cela, croyez-le bien, c’est confirmer que le deuil colonial belgo-congolais n’est pas encore terminé même si, à cause des difficultés présentes, on arrive à idéaliser le passé colonial. On ne met pas fin à un deuil par décret mais on peut aider à y mettre un terme. Voilà pourquoi s’excuser signifierait bien des choses. S’excuser emprunte aussi le langage des faits et des comportements dans la perspective du futur. La mémoire nationale belge tarde à immortaliser des grands noms africains de notoriété internationale comme Simon Kimbangu, Joseph Malula, Patrice Lumumba, Joseph Kasavubu. Un autre chapitre est celui du pillage des ressources naturelles du Congo. Il n’a cessé de s’étendre dans le temps et dans l’espace. Il se pratique désormais impunément, publiquement avec des méthodes autrement plus efficaces et plus prédatrices. Le Congo c’est le paradis des multinationales qui se comportent en terrain conquis, escortées de leurs intermédiaires locaux, intermédiaires qui se recrutent hier comme aujourd’hui même parmi les dirigeants du pays».
à bord d’un tram, un autre historien congolais internationalement connu, Elikia M’Bokolo, 74 ans, spécialiste de l’histoire sociale, politique et intellectuelle de l’Afrique, normalien, agrégé de l’Université, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, commente dans une vidéo sur YouTube réalisée dans les rues de Bruxelles, le pillage des ressources naturelles du Congo.
Celles qui ont érigé cette capitale de l’ancienne puissance coloniale, au prix notamment de ce «caoutchouc rouge» immortalisé par Peter Bate dans son documentaire «Le roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire». La face cachée de Léopold II de Belgique, aujourd’hui encore honoré comme un philanthrope et un civilisateur, qui a mis le Congo en coupe réglée afin de s’enrichir démesurément.

LE CLASH.
Un autre ouvrage très célèbre est celui de Daniel Vangroenweghe. «Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo», décrit les atrocités qui ont cours dans ce royaume-bis, la colonie privée de ce roi, l’État Indépendant du Congo.
«Les civils et militaires de l’État Indépendant du Congo, et les employés des sociétés concessionnaires (...) ne reculèrent devant aucun crime pour exploiter la région. Il s’agissait d’en exploiter l’ivoire et surtout le caoutchouc. Celui-ci ne provient pas de l’hévéa mais des lianes du landolphia. Une fois séché, le latex perd la moitié de son poids. Il est expédié par pirogue pour rejoindre le fleuve Congo et est ensuite expédié vers les ports de l’estuaire, tels Matadi ou Boma d’où les cargos le transportent vers l’Europe et spécialement Liverpool. Les récoltes furent surtout importantes de 1895 à 1910. À cette date, le Brésil fournit l’hévéa et les prix baissèrent. D’autre part, la ressource naturelle avait été largement épuisée malgré l’existence de plantations. Les indigènes furent contraints de récolter le latex dans des conditions inhumaines, avec de la part des autorités coloniales des exigences qui dépassaient l’entendement. En conséquence, les villageois ne parvenaient pas à fournir aux colonisateurs les quantités exigées.Des hommes comme Fiévée et Delvaux furent des criminels de guerre comparables à Goebbels. Les chefs de poste et leurs subordonnés se livraient à la violence (la chicotte), à des arrestations et des viols, à des prises d’otages et à des expéditions punitives pour forcer les indigènes à se plier à leurs exigences. Les exactions ainsi déclenchées tournèrent au génocide: de nombreux villages perdirent 80% de leur population: massacrée ou en fuite, tandis que le cannibalisme régnait encore dans des conflits entre tribus. Les soldats - recrutés sur place - devaient justifier des cartouches utilisées: aussi avaient-ils tendance à couper les mains des villageois massacrés, à les fumer, et à les rapporter comme preuve à leurs chefs blancs. Certains amputés n’étaient d’ailleurs pas morts et furent photographiés. De plus, les villages de la région du caoutchouc devaient aussi subvenir aux besoins alimentaires des hommes de l’État indépendant et de leurs troupes, au risque d’être eux-mêmes acculés à la famine.
Dès le jour de l’accession du pays à la souveraineté internationale, le 30 juin 1960, le Premier ministre Patrice Lumumba étripe cette colonisation. «A vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à mes côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffacablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour, fassent connaître à leurs fils et à leurs petits fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté. Car cette indépendance si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant, que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.
Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste. Une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.
Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire».
Et ce fut le clash. La crise.
Le jour même de l’indépendance. Le Roi voulut immédiatement quitter la cérémonie. Il fut retenu par le Premier ministre Gaston Eyskens. Il voulut quitter le pays le soir même pour regagner la Belgique. Il fut retenu. Mais la colère gronde. La crise s’empare du pays.
«Quelques jours après la cérémonie, les invités officiels ont quitté le Congo. Sur un panneau du camp militaire de la Capitale, le général Émile Janssens, chef de l’armée congolaise, écrit: «Avant indépendance = après indépendance». Ignorant le gouvernement Lumumba, il fait savoir aux soldats qu’ils ne doivent pas s’attendre à des promotions. Une révolte militaire se déclenche aussitôt. Lumumba la contrôle rapidement, grâce à l’africanisation du corps d’officiers. Janssens est renvoyé. Le Premier ministre joint ainsi l’acte à la parole du discours du 30 juin. Avec l’effondrement du corps d’officiers blancs, Bruxelles perd l’instrument qui devait tenir en main le gouvernement congolais. On connaît la suite: sous prétexte de vouloir protéger les Blancs au Congo - des soldats avaient violé des femmes blanches pendant la révolte militaire, mais ces actes étaient terminés - les troupes belges interviennent. Elles séparent le riche Katanga du pouvoir central. Diplomates et agents secrets complotent contre le Premier ministre. En janvier 1961, Lumumba est assassiné, mais ses partisans n’abandonnent pas la lutte. En novembre 1965, après la répression sanglante des révoltes nationalistes, le général Mobutu s’empare du pouvoir, avec l’aide de la CIA et les encouragements du gouvernement belge».

NEO-COLONIAL.
Depuis, entre Bruxelles et Kinshasa, malgré des moments d’effusion sentimentale qui firent croire à Mobutu que les Belges étaient des «BaNoko» (nos oncles) protecteurs, rien n’a changé dans des relations où le colonisateur n’admet pas que le colonisé d’hier est désormais un homme libre et indépendant. Son égal.
Une découverte récente apprend que la Belgique n’a jamais, au fond, accepté l’indépendance du Congo et qu’au contraire, elle a voulu reprendre le pays «de force». Une reprise en main totalitaire, écrit dans un ouvrage explosif (Le Congo s’embrase, paru le 23 novembre 2017), le Belge Hugues Wenkin. «Lors de recherches sur les Chasseurs Ardennais envoyés au Congo en 1960, Hugues Wenkin découvre une note datée du 12 juillet 1960, signée par le conseiller politique du Premier ministre d’alors, Gaston Eyskens. Ce document étonnant et sans doute explosif, retrouvé dans un fonds d’archives du musée de Tervuren non encore inventorié, révèle qu’à cette date déjà, l’entourage du gouvernement encourage l’installation d’une sorte de protectorat belge sur l’ancienne colonie. Pire encore, il suggère «l’élimination de certains chefs politiques congolais » qui auraient « suffisamment démontré qu’ils ne méritent aucune confiance». Les personnalités visées en particulier sont Lumumba et Kashamura. Cette note constitue le point de départ d’une enquête qui conduit l’auteur de révélation en révélation, le menant à découvrir les dessous du pari très risqué de la décolonisation, les véritables motivations du raid sur Matadi et les raisons du renforcement sans précédent des effectifs belges au Congo dans la semaine qui a suivi l’indépendance.
Dressant le tableau d’une tentative avortée de reprise de contrôle sur l’ancienne colonie, Hugues Wenkin ouvre une nouvelle perspective d’analyse sur les tragiques événements de juillet 1960 en RDC».
Au lendemain de l’indépendance, «le 11 juillet au soir, Bruxelles a bel et bien perdu le contrôle des événements. Le lendemain, le conseil des ministres qui se réunit à la rue de la Loi ressemble à un conseil de guerre. Un conseiller politique de Gaston Eyskens dépose une note préparatoire sur la table. Son contenu vise à établir une sorte de protectorat belge sur l’ancienne colonie avec l’aide de l’ONU».
Le régime Mobutu est certainement ce régime néocolonial rêvé qui œuvre, avec des dignitaires noirs en sous-traitants, à garantir les intérêts de Bruxelles.
T. MATOTU.

Furieux, il ordonne le rappel des étudiants de Belgique et veut être laver par le débat de clarification.
Le président Mobutu est décidé à aller jusqu’au bout. Lors d’une rencontre avec des journalistes internationaux lundi, sur le bateau présidentiel en rade de Bandundu, il a réaffirmé fermement que les mesures de rapatriement prises le week-end dernier seront «de stricte application et ne pourront en aucun cas être remises en question quelle que soit la tournure que pourraient prendre demain les relations belgo-zaïroises».
Il maintient que la décision de liquider les biens et autres avoirs des Zaïrois en Belgique concerne bien «tous les Zaïrois, sans exception, du cadre politique au petit commerçant». Interrogé sur le réalisme d’imposer cette liquidation dans des délais aussi rapides - d’ici au 31 décembre - le maréchal a précisé qu’il «comprenait parfaitement que les formalités juridiques concernant notamment la vente des biens immobiliers devaient prendre le temps nécessaire, mais qu’elles n’entamaient en rien l’essence même d’une décision politique clairement expliquée». Même chose en ce qui concerne le départ au plus tard pour la fin de l’année académique de tous les Zaïrois étudiant en Belgique. «Cette mesure concerne absolument tous les étudiants», a rappelé le chef de l’État zaïrois, répétant, sans donner plus de précisions, que toutes les dispositions pratiques seront prises par le conseil exécutif (le gouvernement) «pour que tous les ressortissants zaïrois étudiant en Belgique puissent poursuivre leurs études au Zaïre ou dans d’autres pays étrangers plus hospitaliers que la Belgique».

RUPTURE SANS RUPTURE.
À une question posée à propos d’une éventuelle menace de rupture des relations diplomatiques avec la Belgique, le président Mobutu, grand seigneur, a répondu en expliquant: «La nature des relations personnelles excellentes que j’entretiens avec le Roi des Belges sur la base d’une solide estime mutuelle m’empêche d’envisager une telle éventualité». «Mais j’entends être lavé publiquement par le débat qui aura prochainement lieu en Belgique, a-t-il continué, et il devra être apporté la preuve que l’argent du contribuable belge destiné aux populations dites pauvres du Zaïre va dans les poches de Mobutu et d’autres dirigeants du Zaïre. Le débat est pour nous essentiel, et c’est des résultats d’une telle clarification franche et sans équivoque que dépendra l’avenir de nos relations avec la Belgique».
Le président zaïrois a donné la composition de cette délégation chargée de la clarification. La délégation comprendra maître Kamanda Wa Kamanda, premier secrétaire adjoint du M.P.R. et ancien ministre des Affaires étrangères, le professeur Mpinga Kasenda, secrétaire permanent du bureau politique du M.P.R., et maître Nimy Mayidika Ngimbi, vice-premier commissaire chargé des questions politiques, administratives et sociales.
Le président zaïrois a enfin déclaré qu’il avait été contacté par le gouvernement belge pour intercéder auprès des autorités sud-africaines en faveur de la libération de Mme Hélène Pastoors, la ressortissante belge condamnée à Johannesburg pour détention d’armes et activités illégales. M. Mobutu a relancé cette démarche le week-end dernier lors de l’audience accordée au ministre sud-africain des Affaires étrangères, M. Pik Botha, et il estime que Mme Pastoors sera bientôt libérée et conduite à Kinshasa. A Bruxelles, le ministère des Relations extérieures attend toujours la notification officielle des décisions prises à Kinshasa concernant les relations belgo-zaïroises.
V.K/LE SOIR.


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Portrait de T. MATOTU