La connexion Mbengele-Levis
  • jeu, 05/03/2020 - 23:33

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1483|VENDREDI 6 MARS 2020.

Depuis 2009, le Professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba et le Fonds de Promotion de l’Industrie, FPI sont en querelle autour d’un prêt à problème. Dans une enquête exclusive, POLITICO. CD met en lumière une affaire rocambolesque, où se mêlent le conflit d’intérêts que des combines financières louches.

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Nous sommes dans les années 2007. Tryphon Kin-kiey Mulumba n’est pas encore le grand cadre politique et très proche de Joseph Kabila que l’on connaîtra avec son fameux Kabila Désir. Le Professeur d’Université est à la tête d’un journal, Le Soft International. Kin-kiey veut se développer. A la tête de l’Etablissement Finances Presse Groupe, il part à la quête d’un crédit à travers la ville. Le voilà aux porte du Fonds de Promotion de l’Industrie, dirigé alors par l’obscur Constantin Mbengele Kwete. Dans sa demande, tout y est. «Le dossier a été déposé en bonne et due forme. Il s’agissait d’un prêt de US$ 450.000 pour acheter une presse pour notre imprimerie. En échange, le Professeur a hypothéqué une de ses résidences de Kinshasa, évaluée légalement à plus de US$ 3 millions», explique un avocat de la société de Tryphon Kin-kiey Mulumba. Cependant, au Congo, nul n’obtient réellement quelque chose de l’Etat sans avoir du «piston». Kin-kiey mettra des années à recevoir une réponse. Le Professeur a l’idée de toquer chez un autre prêteur, la banque congolaise Trust Merchant Bank (TMB), du puissant homme d’affaires Robert Levi. Ce dernier est alors dans un procès judiciaire contre un certain Sindika Dokolo, autour d’un immeuble à problème à Kinshasa. Levi voit en Kin-kiey et en son Soft International, un coup de pouce crucial. Aussi, rapidement, il lui concède un prêt évalué alors autour de €230.000.

BELLE CONNEXION.
Le temps passe, Kin-kiey Mulumba n’arrive pas au bout de ses ambitions. Il lui manque toujours de quoi s’offrir cette imprimerie tant rêvée. Et, pour compliquer la situation, la TMB de Levi vient lui réclamer le remboursement de son prêt. «Là, nous sommes en 2009. M. Levi commence à faire lui-même pression sur M. Kin-kiey pour qu’il paie l’emprunt. Mais ce dernier lui expliquera la situation, qu’il n’avait pas encore eu le temps d’engranger des bénéfices liés au crédit mais également qu’il était en train d’attendre, depuis plusieurs mois, un prêt du FPI, qui pourrait l’aider à décanter la situation», ajoute l’avocat.
C’est alors que les choses deviennent intéressantes. Toujours d’après l’avocat de la société de Kin-kiey, Robert Levi prend alors son téléphone et appelle Constantin Mbengele, en face du Professeur congolais. Kin-kiey découvre alors le monde de crédit en RDC.
«Nous avions l’impression que M. Levi donnait un ordre au Président-Directeur général congolais Mbengele. Il lui a demandé de se pencher sur la situation du Prof. [Kin-kiey], car sa banque en dépendait», explique l’avocat.
A Kinshasa, Constantin Mbengele régnait sur un fonds créé en 1989, au point de devenir vingt ans plus tard un établissement public et commercial. Selon ses propres estimations, le fonds affirme avoir collecté plus de 393 millions de US$ entre 1989 et 2012 et continue de bénéficier de dizaines de millions de US$ chaque année. Cependant, à en croire des révélations de presse, le FPI s’est mué en une incroyable machine à détournement de fonds publics.

ROI DES COMBINES.
En 2014, Fidèle Likinda Bolom’Elenge, député du parti au pouvoir PPRD, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, avait dénoncé publiquement les manigances prévaricatrices de cette institution en pleine Assemblée nationale. Ce député est allé jusqu’à pointer avec force détails la responsabilité de l’administrateur directeur général qu’il accuse d’avoir perçu des rétro-commissions et détourné 140 millions de US$ entre 2008 et 2014. De quoi déclencher l’ouverture d’une enquête parlementaire en janvier 2015 qui rendra ses conclusions dix mois plus tard au Président de l’Assemblée nationale.
Le rapport d’enquête a longtemps été tenu au secret. Il a été débattu à huis clos en juin 2016 devant l’Assemblée nationale présidée par Aubin Minaku Ndjalanjoku. En 2017, le journal français Le Monde publie le contenu de ce document qui éclabousse largement le l’A-dG et ses équipes. «Une enquête rigoureuse qui met à mal l’ambition industrielle du pays et révèle, preuves à l’appui, les pratiques corruptives de la classe politique», commente le média français. Les députés devenus limiers sont parvenus à confirmer les détournements au prix de descentes à l’improviste dans les locaux du FPI et de visites des projets industriels qui ont bénéficié d’un appui à Kinshasa et à Lubumbashi, la capitale de la province minière du Haut-Katanga. Respectivement 70% et 78% des projets n’y ont pas été réalisés. «Et les fonds perçus ne sont pas remboursés par les promoteurs; le financement de ces projets n’a pas tenu compte des études de rentabilité et de la capacité financière des promoteurs; les efforts de recouvrement ne sont pas perceptibles», peut-on lire dans le rapport. Les enquêteurs concluent sans ambages : «En clair, il y a détournement de fonds par les promoteurs des projets et le laxisme du chef du FPI».
Selon le rapport d’enquête parlementaire, les pertes ou plutôt les détournements s’élèvent à 138 838.100 CDF soit 98 millions de US$. Parmi les bénéficiaires se trouvent nombre de députés et sénateurs congolais parmi les mieux payés de la planète. Des gouverneurs, des ministres en exercice, etc. Il y a aussi d’anciens membres du gouvernement et leurs proches.
Et Mbengele chutera en 2015, dans un spectacle désolant.
Le mardi 30 août au siège du FPI à Kinshasa, les équipes de Luzolo Bambi, conseiller spécial du Chef de l’Etat en charge de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, essuient des tirs, alors qu’ils sont en mission officielle pour arrêter Mbengele. Un mandat d’arrêt et une interdiction de sortie du territoire national avait été délivrés contre lui et une dizaine d’autres mandataires publics. Il réussira à s’échapper grâce à cette résistance des éléments de la Police militaire qui ont ouvert le feu ce jour-là.

UN PRET INVISIBLE.
Dans son jonglage, Constantin Mbengele est en parfaite symbiose avec les patrons de banques à Kinshasa. L’un d’eux n’est autre que Robert Lebvi de la TMB. Au lendemain de l’appel de l’homme d’affaires au Président-Directeur général du FPI, Tryphon Kin-kiey voit son téléphone sonner. Il est convié au FPI pour récupérer son crédit, qui a soudainement été accordé. Le Professeur se rend au siège du FPI, où il est officiellement présenté, dans une cérémonie solennelle, comme bénéficiaire d’un prêt auprès de la structure étatique. Cependant, un couac survient au moment de la signature des documents.
Tryphon Kin-kiey, à en croire ses avocats, tombe devant un fait étrange. Alors que la demande est faite au nom de sa société Finance Press Group, dont le compte est logé à la Rawbank, il voit étrangement un numéro de compte apparaître dans sa demande. Il s’agit de son compte personnel à la TMB, lequel avait bénéficié du crédit qui lui est désormais réclamé par Robert Levi et sa banque. «Cette situation m’avait mis hors de moi. Je ne peux même pas vous en dire plus d’autant plus que l’affaire est entre les mains de la justice», explique M. Kin-kiey, joint au téléphone depuis les Etats-Unis où il se trouve, par POLITICO.CD.
Mbengele, encore lui, calma alors Kin-kiey, lui expliquant qu’il ne s’agissait, selon des documents consultés par POLITICO.CD que de la première tranche. Son avocat donne plus de détails. «Le Prof a accepté. Une semaine après, nous sommes arrivés pour récupérer l’autre partie, concédant que, même si la procédure n’a pas été respectée, nous aurions, finalement, payé la TMB». Mais la deuxième tranche tourne à nouveau à un esclandre. Mbengele et ses services envoient l’argent une nouvelle fois au compte personnel de Kin-kiey à la TMB de Levi, alors qu’il aurait rassuré que l’argent serait envoyé à la Rawbank, au compte de la société de Kin-kiey.
L’argent sera envoyé à la TMB dans sa totalité, où il est «saisi». Aujourd’hui, Tryphon Kin-Kiey est poursuivi par le FPI comme «insolvable». Le prêteur affirme avoir consenti l’argent à l’ex-ministre, alors que Kin-kiey dément avoir reçu «un seul centime de cet argent qui a été totalement bloqué par la TMB». La justice a été officiellement saisie autour de cette affaire par les avocats de Kin-kiey qui continuent de clamer haut et fort que le FPI n’a jamais envoyé le prêt au compte de la société de Kin-kiey, encore moins dans son compté privé à la TMB.
Par ailleurs, l’avocat Blaise Thayeye atteste que Tryphon Kin-kiey n’a jamais communiqué le numéro de son compte privé à la TMB comme celui qui devait recevoir le paiement. «Nous avons été avec l’Honorable Kin-kiey dans mon bureau situé dans l’enceinte du FPI précisément dans le conteneur faisant office de bureau, où l’Honorable, un ami, était venu attendre le déblocage du prêt du FPI. Comme il faisait soir, l’Honorable m’a demandé de l’accompagner à l’hôtel Memling pour qu’il effectue un transfert chez Western Union en faveur de ses enfants en Europe. Et nous avons pris place à bord de sa jeep Mercedes noir GL 500 pour arriver au Memling. Pendant que l’Honorable était en train d’effectuer l’opération, mon téléphone a sonné. C’était Monsieur Ilunga Katshiatshia, chargé d’établissement de titres à la Trésorerie Kinshasa, au n° de téléphone 0990900022, me demandant si j’étais ensemble avec l’Honorable. En réponse, je dis oui. Il me demandera si je pouvais demander à l’Honorable de nous communiquer son numéro de compte dans lequel on va loger le prêt et j’ai demandé à l’Honorable qui m’a communiqué un numéro de compte de la Rawbank que j’ai aussi communiqué à Ilunga par SMS», atteste un directeur du FPI, Honoré Mbuta, dans un document du procès parvenu à POLITICO.CD.

LE DEBALLAGE.
Le FPI et la TMB n’ont jamais réussi à expliquer comment et pourquoi les virements ont été effectués à un compte personnel à la TMB, en lieu et place du compte de la société Finance Press Group, sans que Kin-kiey ne communique ni son numéro, ni ne donne son aval. En outre, une expertise comptable ordonnée par la justice congolaise en 2018 dans cette affaire est sans équivoque : «Notre intime conviction est que le FPI a bel et bien octroyé un crédit à FPG. Que le montant de ce crédit a été déboursé par le FPI. Mais que le FPG n’a pu y accéder du moins en totalité du fait qu’il a été détourné sur une adresse bancaire non indiquée par le bénéficiaire qui du reste n’avait pas la main libre sur ce compte problématique. Celui-ci aurait été contraint à un remboursement dont l’objet est tout à fait étranger au contrat de prêt sous revue», concluent les experts, qui estiment alors, bien qu’en violation grave des lois, que la TMB aurait saisi une partie de l’argent. Cependant, la TMB refuse de leur fournir les relevés du compte personnel de Kin-kiey sur lequel le FPI affirme avoir viré l’argent.
«Nos descentes dans les banques n’ont rien donné parce que celles-ci n’étaient pas disposées à collaborer. A chaque passage, chaque fois qu’une embûche nous tendue était sautée, trois autres apparaissaient. Un compte rendu dressé à cet effet est disponible en cote 38. La cote 39 montre comment nous nous sommes ingéniés contre la forteresse TMB en nous adressant directement à la plus haute hiérarchie dans le but qu’on nous laisse accomplir notre devoir. Les cotes 40 à 43 montrent d’autres subterfuges dont nous avons usé pour contourner le refus de TMB de nous voir accéder aux comptes Kin-kiey aux fins d’en analyser les flux», expliquent les experts.

FPI DOS AU MUR.
En 2018, le FPI avait reconnu, dans la moindre mesure, la réalité. Il a notamment appelé Tryphon Kin-Kiey Mulumba à des «négociations», proposant notamment de lui donner un autre crédit. «La Direction juridique ainsi que celle de la Supervision [du FPI] ont reconnu qu’il fallait revenir à la table des négociations pour octroyer au FPG un financement additionnel capable de lui permettre d’atteindre les objectifs qui l’habitaient au moment de la sollicitation. Cela pourrait être la raison pour laquelle le FPI n’a jamais donné suite à ma question écrite sous la cote 33. Par conséquence, il y a lieu également d’écarter la mauvaise foi du FPG pour non accomplissement de ses obligations contractuelles car les moyens indispensables nécessaires n’ont pas été mis à sa disposition», révèlent les experts dans leur rapport consulté par POLITICO.CD.
Le FPI a fait un communiqué fracassant, déclarant Kin-kiey insolvable, réitérant sa volonté de réclamer le prêt. Mais le préteur congolais dispose en réalité de l’hypothèque sur la résidence de l’ancien ministre, évaluée aujourd’hui à plus de 5 millions de US$, et dont le certificat d’enregistrement se trouve au niveau du FPI. Etrangement, la TMB est aujourd’hui détentrice d’une partie de l’hypothèque de la maison Kin-kiey, sans aucune explication.
L’ancien ministre est en tournée politique au Etats-Unis. Car pendant tout ce temps, il est passé de la coalition de Joseph Kabila à l’une des personnalités de l’ancien régime à soutenir la coalition du président Félix Tshisekedi, dont il est aujourd’hui proche au sein de la coalition Cap pour le Changement. Kin-kiey promet une conférence à son retour à Kinshasa.
POLITICO.CD


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