Fin de course pour Tunda Ya Kasende
  • lun, 13/07/2020 - 03:14

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1492|LUNDI 13 JUILLET 2020.

C’est connu par la terre entière : la fonction de ministre est des plus fragiles au monde.
Il suffit que le Premier ministre ou le Président de la République, selon le régime (parlementaire ou présidentiel) vous le demande et l’affaire est terminée. Vous ne garderez pas une minute votre fauteuil matelassé... C’est la théorie de l’acte contraire. Celui qui nomme est celui qui révoque.

C’est le socialiste français Jean-Pierre Chevènement qui en a immortalisé la formule.
Alors qu’il avait cessé d’être ministre ou n’y rêvait plus jamais, en mars 1983, le ministre honoraire fait montre de pédagogie, recourt à une formule désormais de référence pour qui aspire à une fonction publique, ministérielle notamment: «Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne».

N’EST PAS CHRISTIANE TAUBIRA QUI VEUT...
Trois fois ministre, Chevènement qui avoue n’avoir jamais eu sa langue dans sa poche, ouvre, au gouvernement, trois fois la bouche. Il démissionne. Et trois fois... Record absolu.

Sous François Mitterrand, février 1983. En Conseil des ministres, le président socialiste dénonce la «bureaucratie tatillonne» au sein du ministère dirigé par Chevènement. L’homme incarne alors l’aile gauche du PS.
S’il avale la couleuvre, minoritaire au gouvernement et face au changement de politique du Premier ministre Pierre Mauroy, le ministre n’en peut plus. Il ouvre sa bouche, dénonce la «parenthèse libérale» (pour ne pas dire la dérive libérale) qu’il perçoit au sein de l’équipe gouvernementale et renonce immédiatement à son maroquin. Il a voulu retrouver sa liberté de parole incompatible avec la fonction ministérielle...

Bis repetita, 29 janvier 1991. Nommé ministre de la Défense de Michel Rocard, Chevènement démissionne. Il a protesté contre l’engagement de la France dans la guerre en Irak. Le ministre quitte le navire quand son armée est au front...
Mais les convictions, ça ne se compromet pas et ça se paie cash.
Puisqu’il n’existe pas deux sans trois, 9 août 2000.

Jean-Pierre Chevènement est, cette fois, ministre de l’Intérieur du Premier ministre Lionel Jospin. Puis survient l’affaire corse - la «guerre» - puis la violence des nationalistes. Quand le ministre le lui demande, le Premier ministre a refuse de désarmer les nationalistes. Le ministre n’accepte pas de transiger, de peur de se compromettre. Il paie comptant et rouvre la porte et s’en va....

Seize ans plus tard, avril 2016. L’ancien Premier ministre de droite, plusieurs fois ministre dont de la Défense et des Anciens Combattants, le Chiraquien Alain Juppé, est candidat à la primaire de la droite et du centre à l’élection présidentielle de 2017.
Dans sa ville de Bordeaux, face aux étudiants de Sciences Po, le candidat alors mieux placé dans la course parle des militaires, aborde le cas d’un général d’armée limogé.

«Un militaire, c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va».
Général de la Gendarmerie nationale, en décembre 2013 Bertrand Soubelet a été écarté de ses fonctions après une audition devant une mission parlementaire «de lutte contre l’insécurité». En cause : sa franchise sur la gestion de la sécurité des Français. Un constat qu’il développe dans son livre à succès «Tout ce qu’il ne faut pas dire» (Paris, Plon). Il y dresse un état des lieux du système judiciaire français.

Alain Juppé : «Si on laisse à chaque militaire la possibilité de critiquer les gouvernements, il n’y a plus de gouvernement».
Il y a près de deux siècles, toujours en France, maréchal de France, Patrice de Mac Mahon, est en 1871 à la tête de l’armée pendant la Commune de Paris. Troisième Président de la République, il annonce : «Je rayerai du tableau d’avancement tout officier dont je verrai le nom sur une couverture» (de journal).

Il y a pourtant des exceptions. En France, il y a la Guyanaise Christiane Taubira. Militante indépendantiste, initiatrice d’une loi visant la reconnaissance de la traite des Noirs et de l’esclavage comme crime contre l’humanité, candidate du Parti radical de gauche à la présidentielle de 2002, Mme Taubira est nommé le 16 mai 2012 Garde des Sceaux. Elle reste au gouvernement jusqu’au 27 janvier 2016 et survit en effet sous François Hollande dans quatre gouvernements (Jean-Marc Ayrault I et II, Manuel Valls I et II) sans avoir jamais su fermer sa gueule. Elle le doit à des relations particulières avec le Président de la République, d’autres disent à la bonhomie ou à la nonchalance du président socialiste. Mais n’est pas Taubira qui veut. Ni, Hollande - le président normal - qui veut.

«IL Y A DES REGLES A RESPECTER...».
Notre Garde des Sceaux aurait-il espéré survivre longtemps dans son magnifique bureau qui trône dans une aile du Palais de la Justice réhabilité par Alexis Thambwe Mwamba avec des fonds de l’Union Européenne? Célestin Tunda Ya Kasende avait en avait rêvé mais ce ne fut qu’un rêve...

Dans une récente interview, le tout puissant ex-directeur de cabinet du président Joseph Kabila Kabange aujourd’hui chef de l’exécutif de la plate-forme majoritaire kabiliste, le FCC, Néhémie Wilanya Wilondja a ses mots, préfiguration d’une fin de course pour le Vice-premier ministre Tunda Ya Kasende : «Le ministre de la Justice fait partie du gouvernement et, au sein de ce gouvernement, il y a des règles à respecter en matière disciplinaire. Pour le reste, et jusqu’à preuve du contraire, il y a un dialogue fructueux entre le président et son prédécesseur et ils arriveront à trouver une solution».

Qu’un ministre se soit cru en devoir d’adresser ses avis personnels au Parlement sur une proposition de loi d’un député, sans devoir requérir l’avis du Conseil des ministres ou d’une commission ministérielle attitrée, ne participe certes pas du respect des règles d’un gouvernement. Ce n’est pas une façon de consolider la stabilité et le fonctionnement harmonieux du gouvernement. Que le ministre soit par dessus le marché Garde des Sceaux - la personne autorisée à utiliser le Grand sceau officiel du pays, Gouverneur général au Canada, Secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique, Ministre de la Justice en France depuis 1848 - met en danger tout l’Etat. Tunda avait-il connaissance de cette lourde responsabilité?

UNE IRREMEDIABLE
CONDAMNATION.

Mais quand il ignore son cas ou feint de l’ignorer en laissant le gouvernement, comme ce vendredi 26 juin, lors d’un Conseil des ministres sous la conduite du Président de la République, traiter d’une question qu’il a lui-même réglée, de façon indue, le condamne irrémédiablement.
Or, à l’issue de sa brève interpellation le lendemain 27 juin par un magistrat de la Cour de cassation, signe de l’extrême gravité de l’acte posé, que des propos excessifs entendus et condamnant cet exploit de la justice congolaise intervenu après le procès public du Programme des 100 jours.

«Parce qu’il a défendu sa position de manière démocratique (...), il a été interpellé, la police bien armée, a entouré sa maison, et on l’a pris comme un malfrat. Où allons-nous dans ce pays? Nous avons l’impression que l’on veut instaurer ici, petit à petit, une dictature plus forte que celle de Mobutu», hurle le secrétaire général du PPRD, Emmanuel Ramazani Shadary en furie.

«Cet incident grave et sans précédent est de nature à fragiliser la stabilité et le fonctionnement harmonieux des institutions, et à provoquer la démission du gouvernement», surenchérit dans un communiqué assumé, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba.
Malgré une procédure en flagrance ouverte - une composition installée attendant la comparution du ministre de la Justice - le procureur laisse le ministre en liberté.

Plutôt que de comprendre un traitement spécial en... «la bouclant» - comme le recommandent Chevènement et Juppé - le Garde des Sceaux congolais s’est, au contraire, mis en scène, face aux micros et devant les caméras, multipliant les déclarations. «Ai-je tué quelqu’un pour que l’on envoie des policiers avec armes pour venir m’arrêter?» Puis, de révéler un échange qu’il aurait eu avec l’ancien président appelé «Ye Meyi...» et qui aurait assuré le ministre de l’impunité.
«Allez voir le Procureur... Ne craignez rien».

Mis à l’index par le Président de la République, expulsé du Conseil des ministres le 3 juillet, Tunda a promis au magistrat de présenter sa démission dès le lendemain. Mais voilà que quand les rumeurs sur sa démission enflent, le ministre joue au jeu, reprend sa liberté, use de la plate-forme Twetter, explique qu’il était ministre et parfaitement ministre.

Un triomphalisme mal apprécié même au FCC-PPRD. D’abord, ce texte : «Une désopilante annonce de ma prétendue démission circule sur les réseaux sociaux, ce monde envahi par des génies en élucubrations. Je reste au service de la République, au sein du Gouvernement de la coalition, voilà l’absolue vérité» (4 juillet 2020).
Quand les rumeurs reprennent de plus belle à l’occasion d’une présentation des lois où l’attendaient les députés, le ministre s’adresse directement à eux : «Mon agenda de travail ne m’ayant pas permis de présenter aux élus du peuple les projets de Lois de ce jour, j’ai pratiquement délégué mon vice-ministre Bernard Takahishe pour cette fin illico presto. Paix profonde aux âmes inquiètes @AssembleeN».

Quand les appels téléphoniques du Premier ministre se raréfient, que certains de ses collègues estampillés n’appellent plus, ni aucun dossier n’arrive et qu’il ne peut plus inviter des collègues membres d’une commission ministérielle, signe d’un début de la fin de l’histoire, Tunda commence à se rendre à la réalité, poste sur son compte : «La RDC a besoin des hommes qui savent faire passer le dévouement avant l’ambition, le sacrifice avant l’intérêt. Aujourd’hui, nous pouvons tout certes, mais demain, nous devrions tous rendre compte, sans exception. Pax».
Puis, quand, enfin, il est lâché par «Ye Meyi», celui qui est désormais l’ex-VPM poste un texte annonciateur de fin de course: «Il appartient au plus éclairé de faire le premier pas, d’ouvrir le jeu comme aux échecs, de concéder une part de sa radicalité pour défendre la situation et susciter un déclenchement de confiance dans le chef du protagoniste. @PrimatureRDC».

Vendredi 10 juillet, c’est la deuxième réunion du Conseil des ministres d’affilée qui se tient sous la présidence du Chef de l’Etat revenu la veille d’une visite privée en Belgique. Le Secrétariat général du Gouvernement n’a pas adressé d’invitation au Vice-Premier Ministre en charge de la Justice et Garde des Sceaux Tunda pris d’émotions et aucun dossier ne lui a été posté.

Samedi 11 juillet, depuis le hall de la Primature, sans son traditionnel chapeau sur la tête qu’il affectionne mais dans un strict costume-cravate, le ministre annonce son départ. «Je suis venu rencontrer ce jour le Premier ministre, chef du gouvernement. J’ai eu à faire un examen personnel de la situation de l’heure pour lui remettre officiellement ma démission en tant que vice-Premier ministre, ministre de la Justice et garde des Sceaux», explique-t-il.

IL EXULTE EN ECOUTANT LE SON DE L’ANNONCE.
Il n’a pas fait allusion à «Ye Meyi» alors qu’il l’avait honoré le jour de sa mise en liberté par le procureur. A-t-il tourné la page? Les assurances reçues n’ont pas fonctionné? En écoutant le son de l’annonce de la démission, un officiel proche du Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui a requis l’anonymat, exulte: «C’est des moments heureux comme ça pour la coalition CACH-FCC. Certainement pas pour Tunda, je comprends... Mais des moments heureux pour notre Coalition». Puis : «Nous apprécions l’attitude du Sénateur à vie Joseph Kabila tout au long de cette mini crise. Une page est tournée. Nous attendons la désignation du prochain Garde des Sceaux».

Aux dernières nouvelles, pourtant, le FCC ne paraît pas très pressé de proposer au Président de la République un remplaçant à Tunda. Si cela se confirme, dans cette hypothèse, le Président de la République devra signer une ordonnance de prise d’acte de la démission du Vice-Premier Ministre en charge de la Justice et Garde des Sceaux mais, au moment où le Soft International boucle et va sous presses, il semble que cette démission n’ait pas encore été formellement remise au Palais de la Nation et donc actée.
On sait qu’aux termes de l’art. 78, al. 3 de la Constitution, le Présidents de la République qui nomme le Premier ministre, Chef du Gouvernement, nomme aussi «les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre».

Un alinéa qui clairement indique que l’entrée en fonction et la cessation des fonctions d’un ministre sont de la seule compétence du Président de la République, lequel, sur proposition du Premier ministre, agit par ordonnance (art. 79, al. 3). Peu importe la cause de la cessation de la fonction - décès, démission, ou révocation - il est nécessaire qu’intervienne l’ordonnance présidentielle. En cas de démission, le Président de la République prend acte de celle-ci nécessairement par voie d’ordonnance (théorie de parallélisme des formes ou de l’acte contraire).

Après les blessés et morts des rues, les propositions de lois d’Aubin Minaku viennent de faire leur énième victime mais la première d’ampleur politique. Un Vice-premier ministre en charge de la Justice et Garde des Sceaux, qui n’avait pas été prudent et respectueux des règles de gouvernement, a été évincé même si cette peine a été commuée en démission. Vrai gâchis!
D. DADEI.


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