Volcan Katebe
  • ven, 24/02/2017 - 03:05

Celui qui, depuis sa ville de Bruges, a repris l’initiative, organisé Genval, a des droits à faire valoir au sein de l’opposition congolaise.

Il a quitté le pays alors Zaïre sous la férule de Mobutu. Katebe est revenu à Kinshasa une ou deux fois en catimini encouragé par un corégionnaire feu Guillaume Samba Kaputo qui souhaitait le voir jouer un rôle. Mais l’ancien sherpa décrété Héros National est mort brusquement un 1er août 2007 en Afrique du Sud avant que les évènements ne s’accélèrent avec la montée en puissance au Katanga d’un quadra que l’élite congolaise avait à peine perçu au Dialogue inter-congolais à Sun City dans la suite de son frère, l’homme d’affaires katangais. Elu Député national et provincial, Moïse Katumbi s’installe en roi omnipotent du riche Katanga minier. Présenté et porté par le président Joseph Kabila Kabange dont il clame fidélité et loyauté sans faille, il s’est fait élire gouverneur. Nul ne sait l’exacte relation qui lie Moïse et Soriano hormis des photos sur les réseaux sociaux qui montrent le premier en barbe dévorant les joues aux pommettes tel le Christ portant des paniers de poissons sur une embarcation de la société frigorifique du lac Moero dont le patron n’est autre que Katebe. Grâce à un contrat de fourniture du vairon du lac aux agents de l’entreprise mastodonte Gécamines, Katebe a amassé une fortune et passe pour crésus quand démarre Sun City. Même si certains peuvent le contester, celui qui apparaît comme le véritable père de Genval, a aidé par son doigté l’opposition à renaître de ses cendres, estime avoir des droits - non des moindres - à faire valoir au sein d’une opposition désormais dépourvue de leader, en mauvaise passe et aura du mal à se cristalliser. Sans conteste, son retour bouleverse bien de calculs.

Il n’est pas un inconnu. Des opposants venus de Bruxelles, Paris (Justine Kasavubu, feu Me Gérard Kamanda wa Kamanda, etc.) qu’il rassemble à ceux arrivés de Kinshasa en tête Joseph Olenghankoy lui doivent d’avoir pris part la tête haute au Dialogue inter-congolais dont le processus commence dans un hôtel de Gaborone au Botswana le 20 août 2001 sous la présidence de l’ex-président du pays Sir Ketumile Masire.
Celui que les médias est-africains présentent comme crésus a fait fortune au Katanga dans une société de frigos industriels qui vogue sur le lac Moero. Raphaël Katebe Katoto Soriano a quitté le Zaïre de Mobutu sur la pointe des pieds après une scabreuse affaire de mort suspecte d’un homme d’affaires d’origine grecque et, de retour mercredi 21 février, il rêve d’un rôle clé sur l’échiquier politique national.
Au Dialogue inter-congolais, muni d’une feuille de route et d’un discours programme qu’il a fait rédiger au départ de la Belgique, il charge sa troupe externe ralliée à des opposants internes de ramer pour lui. Trop avides, ces opposants ne réussissent qu’à lui soutirer de belles briques de dollars sans plaider aucune cause.

IL N’A RIEN ABANDONNE.
Aux étapes de Gaborone et d’Addis-Abeba jusqu’à la destination finale Sun City, Crésus mène grand train. Descend dans les plus belles demeures sinon dans des suites présidentielles comme dans cet idyllique Sheraton d’Addis classé 1er rang mondial ou dans cet hôtel divinement Le Château à Sun City.
Nul ne le voit sans à l’entrée montrer patte blanche à des gros bras blancs Sudafs. Si le bling bling n’avait pas de nom, il s’appellerait Katebe.
Mais Sun City prend fin sans que Crésus ne trouve un emploi! Celui qui, pendant les rébellions, avait tissé des liens avec des chefs militaires de l’est, jette ses amarres au RCD-Goma où, quand l’ASD, Alliance pour la sauvegarde du Dialogue inter-congolais (RCD-Goma et UDPS d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba) voit le jour dans un motel à Pretoria, est désigné l’un des deux vice-présidents d’un regroupement que préside l’opposant historique Tshisekedi.
Très affable, Katebe sait toujours tirer le bon côté d’une relation mais attendra l’exil belge commun pour faire ample connaissance avec son vis-à-vis.
Car si l’ASD a réussi à faire revenir à la table des négociations gouvernement et MLC de l’autre chef rebelle Jean-Pierre Bemba Gombo et à renégocier l’accord, ni l’opposant anti-Mobutu viscéral qui rejette le poste désacralisant de l’un des quatre vice-présidents confié finalement à l’ex-RCD-Goma Arthur Z’Ahidi Ngoma, ni le multimillionnaire ne trouve un compte dans ce régime 1+4 qui succède à Sun City.
Katebe n’a rien oublié de la politique. Jour après jour, dans cet exil de Bruges où il admire cerfs et paons en semi liberté de sa latifundiaire propriété du nord de la Belgique, il tisse sa toile, attendant patiemment son heure ou, comme ce grand félin à pelage fauve, à crinière brune et fournie, sa proie. Dans cette jungle congolaise bénie, au cœur du Continent!
La prise du pouvoir dans le riche Katanga minier où son demi-frère Moïse Katumbi Chapwe s’est fait élire gouverneur ouvre des fenêtres d’opportunités au tandem. Surtout que Katebe a attrapé à son filet quelques gros poissons de l’UDPS. Le très truculent représentant de l’UDPS au Benelux (Belgique, Nederland (Hollande, Pays-Bas), Luxembourg), le Dr François Tshipamba Mpuila l’introduit au sein d’une opposition congolaise extérieure à la violence légendaire, disloquée par des querelles d’égo - le «je», «moi».
Mais la grande sortie de Katebe a lieu les 8 et 9 juin 2016 à Genval, à Rixensart, au sud-est de la cossue banlieue bruxelloise quand une majorité de l’opposition se réunit au Château du Lac et constitue le Rassemblement des forces acquises au changement. Katebe est à la manœuvre. C’est lui qui a choisi le lieu.
La veille, il a réussi un coup de maître: ramener à Tshisekedi le G-7 (regroupement d’anciens frondeurs libéraux de la Majorité Présidentielle) béatifié en commençant par faire se réconcilier devant les caméras l’ancien «boucher du Katanga» Gabriel Kyungu wa Kumwanza, ennemi juré des Baluba Kasaïens pour son rôle joué dans la razzia anti-kasaïenne et... Tshisekedi. On se prendrait à rêver!
Quel pacte est passé? Si nul ne voit à Genval l’autre homme le plus couru de l’opposition, le richissime ex-gouverneur du Katanga fondateur du G-7, il est bien présent par Katebe. C’est lui qui a payé l’addition du Château (un demi-million d’euros, pas moins!) quoique nul ne dira jamais la vérité puisqu’un prête-nom belge - qui aurait des intérêts au Katanga - est publiquement présenté! Il y est dans le concept AR (Alternance pour la République) dont la présidence est confiée à un élu ex-MLC, Delly Sesanga Hipungu Dja Kaseng Kapitu.
Mais c’est Katebe qui a travaillé au corps son «ami» octogénaire malade et fatigué Tshisekedi présent pendant ces deux jours au Château du Lac. C’est lui qui l’a convaincu à lancer ce Conclave par un discours - «pour chasser (du pouvoir) qui vous savez» - et à le clôturer par un discours de ce qui est fêté comme le début de la fin du régime de Kabila.
C’est lui qui l’a persuadé que son incroyable heure est celle-ci et qu’il n’y en aura pas d’autre. C’est lui qui a fait dire à celui qui avait fait ses adieux à la politique à sa défaite électorale de 2011, jusqu’à lui souffler des mots à l’oreille ou à répondre à sa place lors d’une mémorable interview au MondeAfrique: «Je suis prêt, je m’y suis préparé».

ILS ONT MISE TOUS SUR LUI.
Opposés au Dialogue de Kabila mais réduits à celui-ci par leur icône, les opposants réussissent à mettre en place un organe de suivi, qui porte Tshisekedi à la présidence et Katebe avec lui.
Puis l’après-Genval. L’opposition qui a repris des forces - la Majorité en perd encore avec deux départs, François Mwamba Tshishimbi et Alphonse Ntumba Luaba qui rejoignet Tshisekedi - accueillent à Kinshasa le mercredi 27 juillet son héros et tient meeting quatre jours plus tard le 31 juillet à la Place du Triomphal. «Le deuxième Mandela du monde» - comme l’appellent ses partisans - se déplace à s’y laisser tomber mais qu’importe! La fête est totale, les médias du monde, en prime time, n’ont que ça, oubliant le meeting défi du 27 juillet de la Majorité Présidentielle à Tata Raphaël.
Mais ni Moïse, ni Soriano, n’a fait le voyage alors que les deux hommes sont dans tous les esprits des opposants qui sentent le pouvoir tout proche.
«Les millions de Moïse ont rejoint la capacité de mobilisation d’Etienne à ce point que Kabila n’a que ses yeux pour pleures», analyse un diplomate!
C’est Moïse qui a organisé le voyage retour médiatisé par jet privé, Champagne et caviar à bord à gogo. «C’est lui qui paie toutes les factures et a mis le Vieux totalement à l’abri des besoins», murmurent des proches qui lui en savent gré.
Pour immortaliser ce mariage, Katebe a offert un immeuble à Limeté qui devient le siège d’un parti vieux des années Mobutu qui n’en avait aucun. «Le Sphinx est au centre de toutes les attentions.
Tous ont misé sur lui. Les opposants internes. Les opposants externes. Les chancelleries américaine, française, belge, etc., qui jouent à fond la carte de l’alternance. Lui seul est l’opposition. Qu’il décrète que lui seul prendra la parole et personne d’autre ce 31 juillet au Triomphal, il en sera ainsi. Tous plient l’échine sans broncher. Lui seul est le général de la rue même si l’opposant Vital Kamerhe ya Kanyingini réussit des exploits tel ce 26 mai que Sesanga minimise. «Trop petit» pour faire basculer le pouvoir.
Or voici ce que tous redoutaient mais que nul n’envisageait, qui survient. Reparti en Belgique le 24 janvier 2017 pour un «contrôle médical de routine» - à en croire certains de ses proches - Tshisekedi meurt le 1er février en matinée au quatrième étage dans la chambre 488 du pavillon des soins palliatifs de la Clinique Ste Elisabeth. Du coup, l’inévitable conséquence: la redistribution des cartes que lance une vraie foire d’empoigne.
Tout à l’honneur de l’élu MLC Fidèle Babala plus clair que quiconque. «Si l’accord désigne le président du Rassemblement à la tête du CNSA, tous savons que le consensus s’était porté sur l’unique nom de Tshisekedi. C’est nous qui avons formulé la phrase car on ne pouvait pas citer Tshisekedi. Après le décès, le MLC réclame la remise de ce poste. Le poste du CNSA n’est pas le poste du Rassemblement. Preuve: le Rassemblement occupe la questure au CNSA». Le MLC veut placer sa secrétaire générale Eve Bazaïba quand que six autres candidats se disputent déjà cette succession: Fayulu, Olenghankoy, Lumbi, Jean-Bertrang Ewanga Isewanga, Lisanga Bonganga, Diomi Ndongala. La liste n’est pas close.

DES DROITS QU’IL FAIT VALOIR.
Accusé par la famille d’en savoir plus sur le décès du «Sphinx» - il est le dernier à avoir vu Tshisekedi en vie dans cette chambre 488 du quatrième étage des soins palliatifs à Sainte Elisabeth - Katebe a, dans un premier temps, fait savoir, que le poste de premier ministre n’était pas vacant. Sur des confidences de l’abbé Théodore, secrétaire particulier de son «grand frère» - «qu’il visitait souvent avant son retour à Kinshasa, pendant sa convalescence, et lui portait assistance», «l’homme qu’il portait dans son cœur». Avant de se dédire puisque Katebe s’est porté lui-même candidat. Est-ce pour cela qu’il a été suspendu à l’AR? Mais peut-on suspendre le généreux géniteur?
Bémol de Jean-Bertrang Ewanga: «Un sage se réfère quand même à la base. Nous avons constaté que c’est la troisième fois que le Doyen contacte les médias sans en aviser la base. Toutes ces interventions perturbent l’harmonie de l’Alternance et du Rassemblement. Comme il arrive à Kinshasa, une commission va l’entendre et très rapidement si les éléments avancés arrivent à nous convaincre, nous allons lever la décision». Puis: «L’AR a pris ses responsabilités avec tous les respects que nous devons au Doyen. Mais nous avons un leader, qui se trouve être son frère que nous soutenons pour la Présidentielle. C’est notre embarras...».
Or, Katebe n’est pas connu pour avoir sa langue en poche. Il l’a montré en intervenant en direct sur des médias depuis la Belgique au point d’inquiéter ses pairs. «Une roche incandescente dans le jardin d’une opposition déjà en ébullition», commente un homme sur le réseau social WhatsApp.
«Personne ne peut revendiquer l’hégémonie de Genval. Chacun y a apporté sa part. Quand j’ai retiré ma proposition de loi électorale, cela a donné le coup d’envoi de tout et cristallisé l’opposition. Genval est la concrétisation d’un effort de tous, à Kinshasa comme à Bruxelles quand l’UDPS négociait avec la majorité à Ibiza, Venise, etc. Je reconnais qu’il (Katebe) avait des liens particuliers anciens avec Tshisekedi et qu’il a joué de son entregent pour rapprocher les positions de tel ou de tel autre», nous déclare Delly Sesanga.
Après vingt ans d’exil, après sa déroute à Sun City, cet homme qui, depuis l’étranger, a repris l’initiative politique, en réussissant l’exploit qui a conduit au rassemblement de Genval; moment de renaissance de l’opposition, a une part et non des moindres du pouvoir qui revient à l’opposition à révendiquer. Il n’entend pas la laisser passer.
T. MATOTU.


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