Finances publiques : tension, controverse, confusion, tirs croisés, guerre des chiffres, etc.
  • lun, 16/11/2020 - 21:43

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1507|LUNDI 16 NOVEMBRE 2020.

Les éminences grises en matière financière et budgétaire du pays ont été invitées à se pencher sur les questions brûlantes de l’heure pour apporter la lumière à la cité. Le Soft International se propose de se pencher sur plusieurs éditions sur la quintessence de ces analyses de fond dont la substance est déroulée ci-dessous.

Du choc des idées jaillit la lumière certes. Mais d’un choc peut aussi jaillir la chaleur, la confusion. Si l’on n’y prend garde, le Congo risque de se retrouver dans ce dernier cas de figure. D’une part, la tension née des controverses entre deux points de vue radicalement opposés. De l’autre, la confusion résultant des controverses dans le chef de l’opinion publique perdue entre les tirs croisés des attaques et ripostes et la guerre des chiffres qui les accompagne.
En réalité, le débat actuel, prenant parfois une allure passionnelle, là où elle devrait être rationnelle, a trait aux reproches portés, supposés ou réels, à la charge du ministre des Finances, le FCC-PPRD José Sele Yalaghuli.
Les principaux reproches sont les suivants :

1. le blocage «réputé» intentionnel des paiements pour pousser les différentes catégories socioprofessionnelles à la révolte, mieux, à la sédition par la contestation de l’autorité établie. Ce blocage est cristallisé dans le retard des paiements au titre des salaires et des frais de fonctionnement entraînant l’accumulation des arriérés.

2. la non application «qualifiée» souvent de volontaire, avec intention de nuire, des décisions du Conseil des ministres en rapport avec la suppression d’une catégorie des exonérations. Il s’agit principalement de celles accordées par simple lettre ainsi que les avantages et allégements fiscaux applicables aux entreprises éligibles au partenariat stratégique sur les chaînes de valeur. Cette situation priverait l’État de certaines recettes à même d’accroître son niveau de collecte à l’effet de couvrir davantage les dépenses subséquentes.

3. le refus d’accéder à des financements dits innovants, lesquels pouvaient permettre d’élargir l’espace budgétaire et donner ainsi des coudées franches au Gouvernement pour couvrir les besoins urgents tenant à la prise en charge des rémunérations des institutions politiques, des ministères, des institutions politiques ainsi que des dépenses humanitaires et sécuritaires.

4. la stigmatisation par le ministère des Finances, dans son projet de rapport de reddition des comptes pour l’exercice 2019, des dépassements d’environ 14.000 % des dépenses de l’Institution Présidence de la République, en ce compris celles du Président de la République. Ce qui constituerait, pour certains, un crime de lèse-majesté...
Examinons froidement et objectivement chaque reproche en y apportant des réponses constructives, fédératrices et documentées.

1. Le blocage des paiements expliquant l’accumulation des arriérés.
Il est paradoxal et détonant d’observer des tensions sur le taux de change et les prix intérieurs en situation de blocage des dépenses. Il est aussi étrange et renversant d’admettre la pratique des freins en main dans un contexte de déficit budgétaire.

Ce dernier s’entend comme un excès des dépenses sur les recettes. Or, le pays, hormis les années 1968 (l’âge d’or de l’économie congolaise) et les années Matata (2011 à 2015, âge d’argent de l’économie congolaise), l’exécution du Plan de Trésorerie du Budget Général de l’État se solde littéralement et structurellement par un déficit. Ce dernier représente un manque important, une insuffisance criante des ressources (mpiaka en lingala).

Comment quelqu’un, qui est en déficit, qui est en manque, qui est en mpiaka peut-il, et par quelle magie, bloquer ses paiements ? Mais il est en manque et ne peut, dans ce cas, payer. Le retard dans les paiements, l’accumulation des arriérés n’est que la conséquence du manque d’argent, du mpiaka, du déficit.

A titre d’exemple, les dépenses effectuées entre le 1er janvier 2020 et le 31 octobre 2020 dans le cadre de l’exécution du Plan de Trésorerie du Budget Général ont totalisé 6.235,9 milliards de FC (soit en moyenne mensuelle 623,6 milliards de FC) contre des recettes de 5.430,6 milliards de FC (543 milliards de FC en moyenne), soit un déficit, un mpiaka, un manque de 805,3 milliards de FC.

Donc, aux dix premiers mois de cette année, l’État congolais, dans le cadre de son budget général, manquait de l’argent pour un montant de 805,3 milliards de FC. Comment cet État qui n’avait pas d’argent dans ses escarcelles, dans sa tirelire, dans son bas de laine pouvait-il encore et dans le même temps, bloquer par l’entremise de son ministre des Finances, des recettes dans ses poches désargentées ? Cela se passe de tout commentaire...
Quelles sont les causes de cet étourdissement, de ce contraste, de ce paradoxe, de ce clivage de raisonnement et d’explication ?

La première cause est l’inadéquation entre le plan d’engagement budgétaire et le plan de trésorerie.
Au 31 octobre 2020, les recettes du fameux PDT, le plan de trésorerie captées par le ministère des Finances étaient de 5.430,6 milliards de FC. Par contre, les liquidations au niveau du ministère du Budget résultent des engagements des gestionnaires des crédits. Sur ce montant, les ordonnancements en souffrance à la Banque Centrale se chiffraient à 962 milliards de FC.

Il se dégage un écart de 628,4 milliards de FC entre les opérations du plan d’engagement budgétaire et celles d’exécution du plan de trésorerie. Donc, ce sont les liquidations sans contrainte, parce qu’elles ne sont pas calées sur les disponibilités en recettes du Plan de Trésorerie, qui donnent l’illusion ou l’impression au public que le ministère des Finances bloque des paiements.

Les largesses en termes de liquidations lesquelles créent des déséquilibres et des dysfonctionnements épargnent paradoxalement le ministère du Budget des critiques qui s’abattent en revanche sur le ministère des Finances censé s’en tenir à la rigueur financière. En réalité, ce sont les engagements émis par les gestionnaires et transformés, sans conditions, en liquidations qui donnent l’illusion de l’existence des moyens suffisants pour effectuer les paiements. La règle d’ajustement strict des liquidations aux disponibilités de trésorerie permet d’éviter des points de stationnement au niveau de la chaîne de la dépense. Elle constitue l’antidote aux fausses impressions d’aisance financière miroitée par les largesses au niveau de la gestion des engagements.

La deuxième cause est l’exécution des dépenses en urgence. Ces dernières non seulement passent outre les procédures budgétaires dans le cadre du respect des étapes de la chaîne, mais aussi évincent des dépenses budgétisées et donnent de fausses impressions aux bénéficiaires de l’inexistence du mpiaka, de l’insuffisance des moyens de trésorerie. Les dépenses en urgence, qui fragilisent la crédibilité et l’efficacité de la chaîne de la dépense, ont pour donneurs d’ordre les institutions politiques.
La troisième cause, laquelle peut être le corollaire de la précédente, est la confusion établie entre les potentialités et les richesses du Congo.

En raison de l’immensité des potentialités du pays, plusieurs dirigeants croient que le Congo dispose d’abondantes et infinies ressources financières. Ils ne comprennent pas comment le pays peut être en situation de mpiaka alors qu’il a la plus grande forêt équatoriale, un fleuve majestueux, une faune et une flore diversifiées, des matières premières et précieuses en grande quantité, etc.

En réalité, les potentialités ne constituent pas une matière imposable ou une assiette fiscale mais rien que les richesses. Le capital naturel que représentent les potentialités doit être transformé en capital productif représentant les richesses avant de devenir une matière imposable.
Et cette transformation s’opère par le travail, la qualité des institutions, la qualité du capital humain acquise à travers l’éducation, la promotion de la santé de qualité, la productivité des facteurs, la formation en entreprise, le leadership et la bonne gouvernance.

En substance, il est question de blocage des paiements si en situation des excédents budgétaires (recettes supérieures aux dépenses), le ministère des Finances refuse d’honorer les liquidations provenant du ministère du Budget qui seraient en adéquation avec les disponibilités de trésorerie.
Les disponibilités de trésorerie excèdent les liquidations mais le ministère des Finances ne veut pas ordonnancer les dépenses pour qu’elles soient payées par la Banque Centrale.

Donc, en situation d’aisance financière, le ministère des Finances procède à un contingentement, à un rationnement, à des coupes sombres des liquidations, à un bâillonnement, à un freinage des dépenses. Mais, en cas de déficit ou de manque de recettes, il n’y a rien à bloquer, rien à freiner puisqu’il n’y a rien, il y a mpiaka...
Retenons une fois pour toutes que le ministre des Finances, le FCC-PPRD José Sele Yalaghuli, ne peut pas bloquer. En effet, à la fin de chaque journée, les disponibilités en trésorerie ajoutées aux recettes attendues le lendemain sont toujours largement inférieures aux liquidations du ministère du Budget contemporaines et aux ordonnancements en faction à la Banque Centrale.

Comment peut-il bloquer si disposant des ressources de 9 milliards de FC, il lui est demandé de payer 20 milliards de FC?
Il n’a d’autre choix que d’étaler les dépenses à la survenance des recettes futures. Il ne peut lui être reproché l’action de blocage que dans le cas où il a dans sa gibecière 20 milliards de FC et refuse de payer des titres de 9 milliards de FC qui lui seraient présentés. Dans ce cas, il gèle, congèle et bloque.

NOTE.
◗ Les éminences grises sont des spécialistes en la matière. Elles se distinguent des experts et techniciens en ce que l’éclairage de leurs analyses se fondent sur des expériences vécues et résolues sur terrain, la convocation et la confrontation des théories apprises aux réalités observées à travers l’approche éclectique.

◗ Les liquidations donnent lieu aux documents émis par la Direction du Trésor et Ordonnancements (les fameux DTO) totalisaient 6.059 milliards de FC.

◗ La non application «qualifiée» de volontaire, avec intention de nuire, des décisions du Conseil des ministres en rapport avec la suppression d’une catégorie des exonérations.
CORRESPONDANCE PARTICULIERE.


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