Les débats politiques au Congo, spéculation politique en vue d’une déstabilisation stratégique
  • lun, 16/11/2020 - 22:00

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1507|LUNDI 16 NOVEMBRE 2020.

par
Banyaku Luape Epotu, professeur ordinaire, Juge Honoraire à la Cour Constitutionnelle, Ministre Honoraire.

Cinq grands débats politiques persistent depuis 2016 sur la scène politique congolaise. Il s’agit :

1. du débat sur la compréhension et l’application de l’alternance démocratique à l’issue du deuxième mandat du Président de la République démocratiquement élu, tel que prévue par l’article 70, alinéa 2 de la Constitution ;

2. de celui relatif à l’éventualité d’un retour au pouvoir suprême d’un ancien Président à la fin de son mandat présidentiel et bénéficiant déjà du nouveau statut de sénateur à vie, en vertu de l’article 104, al. 7 de la Constitution ;
3. de celui portant sur la mise en accusation du Chef de l’Etat par le Congrès ;

4. et de celui concernant la révision constitutionnelle en vue d’instaurer le suffrage indirect au niveau du Parlement pour l’élection présidentielle.

5. ainsi que du protocole de prestation de serment des Juges à la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

◗ «Le premier débat sur la prolongation du mandat du Président en exercice, en cas de la non-tenue à terme de l’élection présidentielle, était censé être clôturé» lorsque l’arrêt R.Const 262 du 24 juin 2016 a été rendu par la Cour constitutionnelle.
Cet arrêt faisait suite à la requête de la majorité parlementaire relative à l’interprétation de l’article 70, al. 2 de la Constitution. La réponse intelligente de la Cour constitutionnelle reprise dans cet arrêt a explicitement signifié que cet article ne donnait lieu à aucune interprétation. Cela se justifiait d’abord puisque du point de vue sémantique, la portée de la phrase concernant la fin du mandat du Président de la République correspond à l’énoncé d’une durée fixée au 1er alinéa de l’article 70 à un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.

Ensuite, du point de vue grammatical, l’installation effective concerne un Président déjà élu (du nouveau Président élu), puisqu’il s’agit d’un article partitif singulier déterminant un sujet connu. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau Président de la République à élire, dont l’article indéfini marque un sujet non encore connu.
Enfin, du point de vue juridique, l’article 73 de la Constitution commande la convocation du scrutin pour l’élection du Président de la République par la Commission électorale nationale indépendante 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. Ainsi peut-on conclure que l’interprétation sollicitée par la requête de la majorité parlementaire à la Cour constitutionnelle en juin 2016 paraissait comme un alibi fallacieux de la part de ses membres, puisqu’à la date d’introduction de ladite requête, la CENI disposait encore d’une marge de 180 jours pour organiser l’élection présidentielle en décembre 2016.

S’agissant du contenu de cet arrêt, il a été introduit une incise particulière, enjoignant la CENI à présenter dans les plus brefs délais un calendrier conforme aux échéances électorales prévues par la Constitution. Rien donc ne présageait un obstacle insurmontable pour la bonne tenue de l’élection présidentielle en décembre 2016. Mais aussi, la Cour constitutionnelle avait considéré que le fondement juridique du scrutin était déjà réglé avec la promulgation de la Loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle quo modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011.

◗ «Le deuxième débat est celui relatif à l’éventualité du retour au pouvoir de l’ancien Président de la République».
En effet, l’article 104, alinéa 7 de la Constitution est libellé de manière à ne laisser aucune zone d’ombre au sujet du nouveau statut de sénateur à vie conféré à titre définitif à tout Président de la République élu à la fin de son mandat.
Le contexte ayant prévalu lors de l’adoption de ce texte par l’Assemblée constituante était celui issu d’une longue période de dictature, y compris les 5 années du pouvoir issu du coup d’Etat militaire, laquelle durée a été rendue possible grâce au trucage électoral monstrueux de 1970 à 1986 et, surtout, a facilité la reconduction du mandat présidentiel à cause de la non-tenue des élections de 1990 à 1997.

Le Constituant a fait le constat, selon lequel, les dérives dictatoriales sont généralement liées ou provoquées par la perduration d’un pouvoir livré à l’usure du temps. Ainsi, avait-on levé l’option de limiter drastiquement le mandat à une seule fois renouvelable et pour éviter les tentatives d’éventuel retour de l’ancien Président de la République à la fin de son mandat, il lui a été conféré un statut de sénateur à vie, en incompatibilité totale avec tout autre mandat électif. Une lecture attentive de cette disposition constitutionnelle fait révéler que le statut réservé au Président de la République n’est pas celui d’une attribution de siège aux termes de l’article 104, alinéas 4, 5 et 6, mais d’un statut ayant qualité d’habilitation et auquel il ne peut s’en détacher ou y mettre fin de sa propre initiative.

C’est n’est donc pas la loi électorale qui autorise le mandat de sénateur à vie à titre d’attribution d’un siège, selon les critères électifs requis pour être membre du Sénat et suivant le mode de scrutin y prévu, mais c’est la Constitution de la République qui l’élève à ce rang et titre de dignité pour toute sa vie. En effet, l’annexe de la Loi n°17/013 du 24 décembre 2017 portant répartition de sièges au Sénat promulgué le 8 mai 2018 stipule que le Sénat comprend 108 membres élus, à raison de quatre sénateurs par province et huit sénateurs pour la ville de Kinshasa.
Ils sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable par les députés provinciaux au scrutin proportionnel plurinominal avec listes ouvertes et une seule voix préférentielle. La répartition se fait selon la règle du plus fort reste. Chaque Sénateur est élu avec deux suppléants.

Ainsi, le sénateur à vie s’ajoute comme membre du Sénat à la suite de la disposition constitutionnelle de l’article 104, alinéa 7 qui défère à tout ancien Président élu ce titre honorifique de dignité à vie. Une déférence unilatérale voulue par l’Etat qui décerne un titre honorifique à l’ancien Président élu à la fin de son mandat et contre lequel, le concerné ne peut s’en défaire ni y mettre fin de sa propre initiative pendant toute sa vie. Seul le fait de déchéance par l’autorité compétente pour indignité ou pour incrimination de tout autre crime d’Etat, comme il en est d’ailleurs le cas pour d’autres titres et distinctions honorifiques décernés pour mérite ou pour bravoure dans l’Ordre national. Et la loi ne prévoit aucun mécanisme juridique pour la remise en cause ou l’abandon d’un statut conféré par une disposition constitutionnelle et ayant qualité d’habilitation.

◗ «Le troisième débat concerne la mise en accusation du Chef de l’Etat par le Congrès et la mise en accusation des membres du Gouvernement».
D’abord la qualification de l’infraction relative à la violation intentionnelle de la constitution ne relève pas de l’appréciation de chacun de nous mais d’un organe de loi doté de cette compétence. Comme le juge naturel du Chef de l’Etat est la Cour constitutionnelle, c’est le Parquet près la Cour constitutionnelle qui en a la compétence. Il ne s’agit donc pas d’une exception à l’inconstitutionnalité prévue à l’article 162, alinéa 2 permettant à tout citoyen de saisir la Cour constitutionnelle en procédure prioritaire d’inconstitutionnalité pour violations flagrantes de ses droits fondamentaux dans une affaire qui la concerne devant une juridiction.

La confusion est entretenue par les initiateurs de termes référentiels sur la mise en accusation du Président de la République entre l’article 166 de la Constitution et la loi d’application sur ce point précis, qui n’est rien d’autre que la loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. En effet, l’article 166 de la Constitution fait part de la décision de poursuites et de mise en accusation du Président de la République et du Premier Ministre. Cette décision de mise en accusation par vote au Congrès (2/3) intervient après que le Procureur Général ait introduit la requête auprès du Congrès pour obtenir l’autorisation des poursuites judiciaires contre le Président de la République ou contre le Premier ministre. Tandis que l’article 100 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle précise dans ses articles ci-dessous la procédure de qualification des infractions commises par les assujettis à cette haute Juridiction pour leur mise en accusation.

Il est stipulé dans l’article 100 de ladite loi que le Procureur Général assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuites contre le Président de la République, le Premier Ministre ainsi que les coauteurs et les complices. A cette fin, il reçoit les plaintes et les dénonciations et rassemble les preuves. Il entend toute personne susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité.
L’article 101 de cette loi précise que si le Procureur Général estime devoir poursuivre le Président de la République ou le Premier Ministre, il adresse au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat une requête aux fins d’autorisation des poursuites.

Cette autorisation est donnée conformément aux dispositions de l’article 166 alinéa 1 er de la Constitution sur vote de 2/3 des membres du Parlement suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. Les articles 101 et 102 poursuivent la matière en relevant que le Procureur Général doit demander au Congrès l’autorisation des poursuites. Si celle-ci est accordée, l’instruction préparatoire est menée par le Procureur Général. Les règles ordinaires de la procédure pénale sont applicables à l’instruction préparatoire. La Cour est seule compétente pour autoriser la mise en détention préventive du Président de la République ou du Premier Ministre, dont elle détermine les modalités dans chaque cas. La détention préventive est remplacée par l’assignation à résidence surveillée.

L’article 104 stipule qu’à la clôture de l’instruction pré juridictionnelle, le Procureur Général adresse un rapport au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat, éventuellement accompagné d’une requête aux fins de solliciter du Congrès la mise en accusation du Président de la République ou du Premier Ministre. Dans le cas où le Congrès adopte la résolution de mise en accusation, le Procureur Général transmet le dossier au Président de la Cour par une requête aux fins de fixation d’audience. Il fait citer le prévenu et, s’il y a lieu, les coauteurs et/ou les complices. En ce qui concerne le statut pénal d’un membre du gouvernement, le Droit congolais ne fait pas la distinction entre les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et ceux qui ne relèvent pas de cette hypothèse. Il est régi par la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013 spécialement au chapitre 2 du Titre IV consacré aux procédures spéciales de membres du Gouvernement autres que le Premier Ministre devant la Cour de cassation.

C’est au Procureur Général près la Cour de Cassation qu’appartient l’initiative des enquêtes relatives aux faits infractionnels reprochés aux membres du Gouvernement.
Il assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuite: il reçoit les plaintes et les dénonciations et rassemble les preuves ; si un Officier de Police Judiciaire ou un Officier du Ministère Public reçoit une plainte, une dénonciation ou constate l’existence d’une infraction à charge d’une personne qui, au moment de la plainte ou de la dénonciation, est membre du Gouvernement, il lui transmet son procès-verbal, toutes affaires cessantes; il entend toute personne susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité. Il en informe le Président de la République et le Premier Ministre.

Dans son article 80, il est stipulé que sans préjudice de la procédure en matière d’infractions intentionnelles flagrantes, la décision de poursuite ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement autres que le Premier Ministre sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale conformément à l’alinéa 2 de l’article 166 de la Constitution suivant la procédure prévue par son Règlement Intérieur.
Tout membre du Gouvernement mis en accusation présente sa démission dans les vingt-quatre heures. Passé ce délai, il est réputé démissionnaire. L’article 81 dispose que le Procureur Général près la Cour de Cassation assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuites. Il a l’initiative des enquêtes relatives aux faits infractionnels reprochés aux membres du Gouvernement.

Il reçoit les plaintes et les dénonciations et rassemble les preuves. Il entend toute personne susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité. Il en informe le Président de la République et le Premier Ministre par lettre recommandée ou par porteur avec accusé de réception. L’article 83 relève que si le Procureur Général estime les faits suffisamment concordants et relevant, il adresse un réquisitoire à l’Assemblée Nationale aux fins d’obtenir d’elle l’autorisation de poursuites qui lui permet de parachever l’instruction préparatoire et de prendre des mesures coercitives et privatives de liberté contre le membre du Gouvernement incriminé. Il en avise le Président de la République et le Premier Ministre par lettre recommandée ou par porteur avec accusé de réception.

◗ «Le quatrième débat tourne autour de la révision constitutionnelle en vue d’instaurer le suffrage indirect au niveau du Parlement pour l’élection présidentielle».
Ce débat à la fois insidieux et séditieux est initié par les tenants de l’ancien régime sous forme de propositions insistantes pour envisager une révision constitutionnelle qui aurait pour buts ultimes :
1. de faire profiter davantage aux plus puissants en pouvoir d’argent ;
2. de réduire l’espace de légitimité du Président de la République ;
3. de conforter les politiques clientélistes sur fond de corruption et de positionnement du personnel politique acquis aux forces politiques négationnistes de l’intérêt général.

C’est pourquoi ce débat se déroule à masques déguisés et souvent à coup de gueules et à coup d’essais pour distiller un discours apparent de sagesse, mais sournois dans son fond idéologique fasciste et anti-démocratique.
L’observation la plus attentive sur nombreux arguments avancés restent dubitatifs et d’analyse peu élaborée. Il s’agit surtout de deux arguments les plus évoqués, notamment la réduction de coûts des opérations électorales et la responsabilité politique accrue ou conscience de choix plus élevée de la part d’électeurs sous mandat électif, que sont les députés et sénateurs.

En outre, il est utile de relever qu’aucune étude comparative n’a encore été élaborée pour prouver l’avantage d’un mode du suffrage indirect sur celui du suffrage universel direct par des simulations de coûts comparatifs entre une élection présidentielle à suffrage universel direct et celle à suffrage indirect au niveau du Parlement. Mais au-delà de considérations évoquées ci-dessus, il y a de déterminations juridiques qui fixent le mode de déroulement de l’élection présidentielle. Il s’agit de l’article 70, alinéa 1er de la Constitution et de l’article 218 sur la révision constitutionnelle et l’article 220 sur l’interdiction de recours à toute tentative de révision constitutionnelle sur certains matières et principes, dont le principe du suffrage universel.

Les dispositions constitutionnelles concernées sont les suivantes :
1. alinéa 1er de l’article 70 de la Constitution stipulant que le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
2. alinéa 4 de l’article 218 disposant que la révision constitutionnelle n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum.
Toutefois, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant. Si la spéculation pour réunir les 3/5 des membres qui composent le Congrès peut encore séduire les esprits portés par cette tentative de révision constitutionnelle sur le suffrage indirect de l’élection présidentielle, la nette opposition de la majorité populaire pourrait les dissuader de cette hasardeuse aventure sans issue.

◗ Le cinquième débat concerne les dispositions protocolaires relatives à la prestation de serment des Juges de la Cour constitutionnelle devant la Nation.
L’article 10 de la loi n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle stipule qu’avant l’entrée en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par le Bureau.
Ils prêtent serment devant le Président de la République. Ce dernier leur donne acte.

Il n’est donc donné aucune exigence sur la quotité requise à la représentation nationale, hormis l’Institution Président de la République, ni pour l’Assemblé nationale, ni pour le Sénat, moins encore pour le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau.
A cet effet, le protocole de prestation de serment des Juges de la Cour constitutionnelle est organisé sur initiative du Président de la République, qui est la seule institution à en prendre l’acte.

Ainsi, il n’est prévu, dans cette loi organique ni la convocation pour la tenue du Congrès ni celle de l’Assemblée plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature pour statuer en instance délibérative et en approuver la conformité. Il n’est donc pas possible de penser à un quelconque blocage que ce soit pour ce protocole de prestation de serment des juges à la Cour constitutionnelle, dès que le Président de la République en aura jugé de la convenance du lieu et de la pertinence ou de l’urgence du temps.

◗ Conclusion.
Il est clair que les supputations des uns et des autres sur toutes ces matières mises en débat d’actualité relèvent de la pure spéculation politique en vue d’une déstabilisation stratégique.

Texte paru dans une fascicule de 48 pages,
Kinshasa 2020, Centre Congolais d’Etudes Stratégiques en Relations Internationales, CECERI, sous le titre Eclairage sur les cinq débats politiques d’actualité, note d’épigraphe de Alphonse Ntumba Luaba Lumu, Professeur Ordinaire.


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