Ce que Gizenga a dit à Kabila
  • ven, 23/03/2018 - 02:58

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Gizenga réclame une équipe gouvernementale plus homogène.
Ce sera un secret précieusement gardé. Sauf si quelqu’un arrive à le dévoiler. Mais qui? Qu’est-ce que le Président de la République et le Chef du PALU se sont dits ce lundi 19 mars, de très bonne heure lors d’une rencontre surprise à la Résidence du GLM alors que rien de tel n’était prévu dans l’agenda officiel du Président de la République qui devrait présider le très fermé Conseil supérieur de la Défense, et que Gizenga, à près de 93 ans, ne se déplace qu’exceptionnellement et avec son fauteuil? Quatre jours auparavant, Gizenga avait chassé son propre fils de la direction du PALU, tout comme l’ex-Premier ministre très entreprenant Adolphe Muzitu. Les deux hommes avaient signé une alliance politique électorale contre nature avec des partis de droite. En exclusivité Le Soft.

De quoi Joseph Kabila et Antoine Gizenga ont-ils parlé lors de leur dernière rencontre surprise au GLM? Lundi 19 mars, alors qu’une réunion du Conseil supérieur de la Défense était convoquée au matin, des rumeurs sur les réseaux sociaux font état d’une rencontre entre le Chef de l’État et le Chef du PALU Antoine Gizenga Fundji au... Palais de la Nation. Problème: rien de tel n’était prévu au service du protocole du Palais de la Nation, siège de la Présidence de la République et nul n’a vu entrer personne. Autre problème: À près de 93 ans, celui qui, le 25 septembre 2008, remit sa démission au Président de la République comme Premier ministre invoquant «le poids de l’âge», se déplace difficilement, rarement et ne saurait monter les escaliers. Au Palais de la Nation, il n’existe pas d’ascenseur. Pour son inscription le 19 août 2017 sur le fichier électoral, la Commission électorale nationale indépendante, son président Corneille Nangaa Yobeluo en tête, avait dû déployer le matériel jusqu’au son domicile du «Vieux», quartier Mont-Fleuri, à l’est de la Capitale.

Tout au long de ce lundi 19 mars, rien ne vînt confirmer cette rumeur qui finit peu à peu par s’émousser. Mais voilà qu’aux heures de minuit, un compte WhatsApp donnait confirmation de cette rencontre, repris bientôt par Twitter. «Le Patriarche Antoine Gizenga ce matin chez le Président Kabila pour renouveler sa loyauté et son partenariat stratégique», écrivait ce compte bien au fait. A l’appui, une photo de la rencontre montrant Gizenga vêtu d’un costume beige sans quitter son éternel chapeau assis dans un fauteuil face au Chef de l’Etat. Gizenga était, à sa gauche et à sa droite, entouré de ses assistants, un homme et une femme.
Trois autres personnes étaient du rendez-vous: les deux ministres PALU du Travail, Lambert Matuku Memas et des Mines Martin Kabwelulu mais aussi Wolf Christian Kimasa nommé quatre jours plus tôt Secrétaire Permanent et porte-parole du PALU après la fin de l’un de ces épisodes propres au Parti Lumumbiste Unifié.
Ce jeudi 15 mars, contre toute attente, Gizenga venait de limoger son propre fils, Lugi (Lumumba-Gizenga) Gizenga au poste de numéro deux du PALU ainsi que l’un des adjoints de celui-ci, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzitu Fumunji, accusés d’avoir entamé des «pourparlers stratégiques» sans s’en cacher avec des partis de l’opposition - MLC et UNC - et d’avoir annoncé la fin de l’alliance avec la Majorité Présidentielle à l’insu du Patriarche et, du coup, réclamaient le départ des institutions des mandataires du PALU, en tête, les ministres mais que ceux-ci allaient vite critiqué avec véhémence, demandant à rencontrer toutes affaires cessantes Antoine Gizenga aux fins d’arbitrage. On connaît la suite...
A la veille de cette énième éviction au PALU, des réseaux sociaux avaient annoncé une visite du Chef de l’Etat au domicile du Patriarche à Mont-Fleury sans que cette annonce n’ait été confirmée.
Qu’est-ce Kabila et Gizenga se sont dit ce lundi matin 19 mars à la Résidence du GLM? Qu’est-ce qui explique ce déplacement exceptionnel de Gizenga à la Résidence du GLM à la tête de ses ministres et du numéro deux de son parti juste nommé?
Le Soft International a posé la question au Secrétaire Permanent du PALU également porte-parole du plus vieux parti du pays, Wolf Christian Kimasa. En exclusivité.

Vous avez accompagné le Patriarche Gizenga à l’audience à la Résidence du GLM, la résidence du Président de la République. A ce jour, rien n’a filtré de cette rencontre...
En 2006, le Chef du parti avait signé des accords avec le Président de la République alors candidat. Nous sommes allés rappeler ces accords. Il faut dire qu’à la troisième place à la Présidentielle de 2006, le Chef du parti s’était trouvé devant un choix: qui soutenir au deuxième tour entre Bemba et Kabila? Il a choisi finalement Kabila d’abord parce qu’il voulait jeter un pont entre l’est et l’ouest du pays. Ensuite, pour des raisons idéologiques. Il faut savoir que le père du Président de la République, l’ancien Président Laurent-Désiré Kabila, avait travaillé avec le Patriarche dans le Gouvernement Lumumba. Et, plus tard, Gizenga s’est rendu à Hewa Bora, qui fut le sanctuaire de Laurent-Désiré Kabila. Entre Kabila et Gizenga, il y a une identité politique de gauche. En 2006, nous avons gagné ensemble les élections et avons géré ensemble le pays. Et, il y a eu les accords de 2011 qui stipulaient que le PALU ne présenterait pas de candidat à la Présidence de la République mais que le prochain tour serait le sien. Nous sommes donc allés rappeler ces accords. Mais puisque le débat porte sur les regroupements politiques, le PALU pense que la gauche doit se rassembler. Depuis longtemps, le discours du Patriarche n’a pas varié. Il est celui de fédérer les forces de gauche. Récemment encore, le 11 janvier 2018, lors de l’anniversaire de la mort de Patrice Lumumba, cette demande a été rappelée. La démarche du Patriarche auprès du Président de la République consistait à lui demander comme Chef de la Majorité Présidentielle, de permettre que des partis membres de la Majorité Présidentielle qui se réclament de gauche, viennent avec le PALU former un regroupement de gauche et si, par exemple, le PPRD est un parti de gauche, qu’il vienne dans un regroupement de gauche avec le PALU.

En clair, dans les regroupements qui se profilent à l’horizon, le PALU souhaite se retrouver avec le PPRD?
Le PALU veut avoir dans son regroupement tous les partis qui se réclament de gauche, que ceux-ci viennent de la Majorité ou de l’opposition.

Le PALU a pourtant déjà déposé au ministère de l’Intérieur la liste de son regroupement, notariée...
Il s’agit du regroupement PALU &Alliés. Au total vingt-quatre partis politiques. La liste est déposée. Mais elle reste ouverte.

Quelle fut la réponse du Président de la République à votre demande?
Le Président a encouragé cette démarche.

Le PALU insiste toujours sur une coalition de gauche au pouvoir. En 2011, les forces de gauche n’ont pourtant pas obtenu la majorité pour gouverner. D’où le recours à toutes ces forces qui se reconnaissent en Kabila et qui ont formé la Grande Coalition...
Nous disons que les valeurs de gauche, la solidarité, la fraternité, la sympathie, l’empathie, l’entraide, la mutualité, etc., s’insèrent dans la culture africaine. Elles sont les plus facilement acceptables dans notre société. Le socialisme est la réponse aux problèmes de la société africaine qui sont la santé, l’éducation, les salaires, etc., et qui doivent être résolus par le Gouvernement. Le PALU se trouve en difficulté chaque fois que les valeurs qui sont les siennes ne trouvent pas place dans une action gouvernementale.

Votre passage au Gouvernement n’a pas été très remarquable...
En 2006, le PALU avait surpris tout le monde en se plaçant troisième force politique du pays. Le poste de Premier ministre lui fut attribué avec néanmoins un nombre limité de ministres. Malgré tout, le PALU a octroyé des bourses d’étude, majoré les salaires des fonctionnaires, négocié les contrats chinois, impulsé un esprit de gestion avec ce «yandi ve, yandi kaka» (préférence-sélection poussée des membres). Les missions étaient effectuées avec un nombre très réduit de personnes avec remise dans la caisse de l’Etat des frais de mission non utilisés. Le PALU a imposé une discipline de gestion qui a permis l’atteinte du fameux point d’achèvement de PPTE. Dans le Gouvernement Matata qui a succédé à celui de Muzitu, la présence du PALU était marginale. De quatre ministres, on est passé à deux. Nos idées étaient difficilement mises en œuvre. Cela a créé beaucoup de mécontentement chez nos militants et nous préjudicie aujourd’hui. J’avoue que notre passage dans le Gouvernement Matata a été négatif. Nous n’avons pas pu détenir le pouvoir permettant d’insuffler l’esprit socialiste du PALU. Nous voulons désormais fédérer afin que demain, le PALU constitue une majorité de Gouvernement qui rende possible une politique de gauche dans ce pays.

Vous êtes assez critique quant au passage du PALU au Gouvernement. Avez-vous des souhaits concernant votre présence au Gouvernement actuel?
Le PALU a été un grand acteur dans la victoire légitimement acceptée du Président Kabila aux élections de 2006 et de 2011. Le souci permanent du PALU est celui de mener une politique de gauche dans ce pays. Ce mélange dans lequel le PALU se retrouve et où se mêlent des partis allant jusqu’à l’extrême droite nous gêne. Cet ensemble idéologiquement hétéroclite dilue notre identité. L’arrivée des soi-disants opposants au sein du Gouvernement a réduit notablement le rôle du PALU. Elle choque notre base. Aujourd’hui que le cap est mis sur les élections, le PALU aurait préféré un Gouvernement précurseur du Gouvernement à venir. Celui du lendemain des élections. Nous retrouver dans un Gouvernement où on compte des opposants, des activistes de la société civile et ceux de la majorité présidentielle, etc., cela nous incommode. Puisque nous sommes à la veille des élections, il faut à ce pays un Gouvernement plus cohérent, qui engage une même vision politique, développe un discours de pré-campagne à défendre demain pendant la campagne... Il ne faut certainement pas une équipe composée de forces hétéroclites qui se torpillent aujourd’hui et vont se combattre demain sur le terrain électoral.

Le PALU aura-t-il son propre candidat à la Présidentielle?
Aujourd’hui, c’est le Regroupement politique PALU&Alliés qui aura un candidat à la Présidence de la République. Mais nous n’avons pas encore fait le choix. On peut, à cet effet, avoir des ambitions, encore faut-il respecter les modalités. Nous ne voulons pas tomber dans un vice de forme qui conduira au vice de fond.

Votre adjoint, le Député Godefroid Mayobo Ngatient vous a remis sa démission dès le lendemain de sa nomination. Peut-on savoir pourquoi?
J’ai été moi-même étonné par cette démission. Le courrier avait été remis au Secrétaire général, Chef du Parti mais les services ne l’ont pas réceptionné, expliquant au porteur de s’adresser au Secrétaire permanent du Parti. J’ai reçu longtemps au siège du parti le Député Mayobo et lui ai parlé en toute franchise. Ensuite, j’ai rencontré le Chef du parti. Je n’ai à ce jour encore réservé aucune suite à ce courrier.

Dans sa lettre, le Député invoque une incompatibilité de caractères qui le met dans l’impossibilité de collaborer avec vous. C’est grave entre Camarades...
D’où mon étonnement. Je n’ai jamais travaillé avec lui. Après les élections de 2006, ils étaient tous au Gouvernement. Je n’y étais pas. Je note que lorsque le Patriarche a fait part de sa déception, face à mon prédécesseur, à la suite d’initiatives qu’il avait prises unilatéralement de signer avec des partis de droite, l’intéressé n’a pas réagi. Mayobo a été le seul qui a pris la parole devant le Patriarche. Une parole à la Mungul Diaka. Il a enfoncé le clou au lieu de protéger le fils, expliquant, à la surprise générale, que l’enfant a failli mais restait l’enfant et que ce ne sont pas tous les enfants de la maison qui ont failli; que tout adjoint direct de Lugi qu’il était, il n’avait pas été mis au courant de ces initiatives. L’admonestation a eu lieu devant une vingtaine de cadres du parti. L’incompréhension totale sauf que Mayobo offrait ses services comme permanent ou comme intérimaire. S’est-il senti vexé quand la décision est tombée?

Il y a eu des attaques sur les réseaux sociaux. Ont-elles été instrumentalisées?
Il y a eu en effet ces attaques sur les réseaux sociaux. Il lui a été rappelé son échec électoral de 2011. En clair, d’avoir conduit le parti à l’échec ne le mettait pas en position de donneur de leçons... Il a dû se sentir mal à l’aise...

Vous-même, vous n’avez pas été élu Député à Kinshasa-Lukunga où vous vous étiez présenté. Comme Numéro deux du PALU, n’avez-vous pas un problème de légitimité?
Ce dont je suis sûr est que je disposais d’un budget de campagne que personne au PALU n’avait et que ma campagne à l’américaine était exemplaire. Ce dont je suis sûr est que j’avais été élu et certainement s’il n’y avait qu’un seul député du PALU à Kinshasa, ce devrait être moi. Mais mon nom a été retiré de la liste des élus à la suite d’une connivence entre certains de nos camarades et des membres de la Commission électorale nationale indépendante où nous avions des délégués. Je sais que certains des nôtres avaient misé sur le poste de 1er Vice-président de l’Assemblée nationale. Au dernier moment, ce poste n’est plus allé au Bandundu mais au Katanga. Vous connaissez les prises de position tranchantes de certains de nos cadres dénonçant avec véhémence «la dictature PPRD».

Quelles sont les priorités de votre équipe?
Redynamiser le parti, vulgariser notre socialisme, enseigner nos valeurs de gauche à nos militants et au Congo, préparer les cadres en vue du Gouvernement à venir que nous espérons pouvoir diriger. C’est le lieu de lancer un appel à toutes les forces de gauche afin qu’elles rejoignent le PALU.
D. DADEI.


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