Comment Tshisekedi nargua Mobutu qui le lui rendit fort bien
  • mar, 07/02/2017 - 03:05

Il rature deux fois au Palais de Marbre son texte de prestation de serment au Palais de Marbre, le Léopard le révoque. Pour la énième fois.

Sa stratégie: une cohabitation avec un Président dépouillé de tout pouvoir exécutif. Mais qui n’a pas marché. C’est la thèse de l’ancien Premier ministre Evariste Mabi Mulumba, Les coulisses du pouvoir sous Mobutu, Ed. de l’Université de Liège.
Dans sa volonté de prendre les rênes du pouvoir au sommet de l’Etat, jusqu’à la prise du pouvoir par Laurent Désiré Kabila, la stratégie de Tshisekedi a toujours été focalisée sur la conquête du poste de Premier Ministre.

A MALIN MALIN ET DEMI.
Cette position était considérée par lui comme une étape vers le pouvoir suprême, à savoir la Présidence de la République. La seule concession qu’il pouvait accepter était une cohabitation avec Mobutu dépouillé de tout pouvoir exécutif. Si Mobutu était tout puissant, il était aussi vrai qu’il redoutait la force qu’incarnait Tshisekedi à travers une opinion publique zaïroise globalement gagnée au changement.
Non seulement Tshisekedi était porté par le peuple, mais son discours démystifiait Mobutu qui, seize ans durant, était déifié au point que toutes les institutions en place fonctionnaient selon sa volonté. Il ne souffrait en conséquence d’aucune contestation. Brusquement dès 1981, le peuple zaïrois découvrant un homme qui avait décidé de démystifier le dictateur à visage découvert. Cet homme, c’était Tshisekedi qui s’était donné comme objectif majeur la libération du peuple de la peur, un vaste programme de désaliénation mentale collective. Cette approche a été pour beaucoup dans l’avènement progressif de la liberté d’expression, et de toutes les libertés.
Il faut reconnaître qu’Etienne Tshisekedi a contribué à forger un pan majeur de l’histoire nationale. Il a, sur ce plan, marqué une véritable victoire.
Le professeur Vunduawe te Pemako, le tout dernier Directeur du Bureau du Président Mobutu, qui passe dans l’opinion pour l’un des grands artisans des cabales pour déstabiliser Tshisekedi, ne manque pas d’être admiratif pour l’homme. N’écrit-il pas à son sujet: «Malgré ses grossières erreurs d’appréciation politique, Etienne Tshisekedi était considéré par les masses populaires de Kinshasa comme un «Gourou», un maître à penser politique et perpétuel martyr de la dictature mobutienne. Aussi sa popularité était-elle restée curieusement intacte, faisant pratiquement de lui un «mythe politique», une sorte de démiurge, capable de régler tous les problèmes du moment qui constituaient le lot quotidien de la crise que traversait notre pays».
Il faut cependant reconnaître, qu’il n’a pas su, à cause de son intransigeance, ses actes et ses relations humaines, négocier de façon heureuse la dimension d’homme de gouvernement. Il est resté fondamentalement un révolutionnaire.
S’il n’a pas pu atteindre son objectif de gouverner durant la période de la Transition, c’est aussi parce qu’il a trouvé en face de lui un animal politique, Mobutu Sese Seko, un homme intelligent doublé d’un stratège et d’un manœuvrier sans pareil au sein de la classe politique zaïroise. Tous ces atouts lui ont permis de manipuler non seulement Etienne Tshisekedi mais tout un peuple. En réalité, toute la Transition a été marquée par la lutte entre deux personnalités hors du commun dont l’une a pris l’ascendant sur l’autre grâce aux atouts qu’il a su mettre en valeur durant cette période, à savoir l’intelligence, l’argent et la force qu’il détenait grâce au contrôle exercé sur l’armée.
Cette lutte entre Mobutu et Tshisekedi se cristallisait autour de la conquête du pouvoir que chacun voulait s’accaparer par tous les moyens. Chacun des deux s’employait à supplanter l’autre.
Bref, Mobutu a excellé en parvenant à tenir Tshisekedi loin du pouvoir sans toutefois se départir d’une peur obsessionnelle qu’il éprouvait face à la présence stressante de son adversaire sur la scène politique. Cette peur a atteint un tel paroxysme que des actes répréhensibles et inimaginables ont été envisagés à l’encontre d’Etienne Tshisekedi.
Banza Mukalay Nsungu, une source crédible proche de Mobutu, note que, pour empêcher l’organisation de l’élection du Premier Ministre à la Conférence Nationale Souveraine, et barrer la route à Tshisekedi vers la Primature, «plusieurs scénarii étaient envisagés dans les officines du pouvoir pour empêcher ce vote: du sabotage de l’électricité au plasticage d’une aile du bâtiment, en passant par une bagarre rangée».
Il n’est pas inutile de tracer ci-après une brève histoire de la lutte de Tshisekedi pour une Primature insaisissable.
C’est en juillet 1991 que le poste de Premier Ministre fut proposé à Tshisekedi. En effet, le 22 juillet 1991, deux jours après qu’ait été rendue publique l’ordonnance du 15 juillet portant convocation de la Conférence Nationale, le Président Mobutu annonça la nomination d’Etienne Tshisekedi au poste de Premier Ministre. La pression du directoire de l’USOR et de nombreux militants de l’UDPS venus au soir de ce 22 juillet1991 manifester devant le domicile de Tshisekedi pour le dissuader d’accepter était très forte. C’est ainsi que dès le lendemain, il rejeta l’offre du Président Mobutu tout en précisant qu’il était prêt à accéder à la Primature, mais seulement après le départ du Chef de l’Etat et en étant investi dans cette fonction par la Conférence Nationale.
Cette nomination surprise de Tshisekedi comme Premier Ministre avait été en réalité le résultat des pressions des Etats-Unis et de la France qui avaient poussé pour que des négociations aient bien lieu entre Mobutu et Etienne Tshisekedi à l’insu de l’Union Sacrée de l’Opposition qui venait de se constituer.
Il semble bien que les deux hommes aient cherché à prendre de vitesse la Conférence Nationale concluant directement entre eux un accord sur le partage u pouvoir.

STRATEGE ET MANŒUVRIER.
Alors qu’il négociait avec Tshisekedi, Mobutu prit soin d’en informer Nguz a Karl-i-Bond et certains membres du directoire de l’USOR qui ont crié à la trahison et ont amené Tshisekedi à refuser cette nomination d’autant plus que certains d’entre eux nourrissaient aussi des ambitions pour le même poste de Premier Ministre. Il est aussi établit que c’était sous l’instigation de Mobutu que les militants qui avaient manifesté devant le domicile de Tshisekedi, le 22 juillet 1991au soir, étaient constitués majoritairement de jeunes mobutistes recrutés pour la circonstance. Tshisekedi et son directoire n’avaient découvert ce subterfuge que bien plus tard. Le refus de Tshisekedi a permis à Mobutu de se retourner vers les chancelleries occidentales pour clamer sa bonne foi et donner ainsi la preuve que Tshisekedi ne voulait pas gouverner, son seul objectif étant de l’anéantir comme préalable à sa prise du pouvoir suprême.
Sa deuxième nomination date du 30 septembre 1991 suite aux négociations du Palais de Marbre I. Un incident a éclaté lors de la cérémonie de prestation du serment d’investiture le 16 octobre 1991. Avant d’apposer sa signature sur le procès-verbal, Tshisekedi a barré les mots «garant de la Nation», contestant ainsi cette qualité à Mobutu; il a biffé aussi l’expression «observer loyalement et fidèlement la Constitution», pour nier l’existence de la Constitution de 1967.
Par la suite, le 18 octobre 1991, un communiqué de la présidence de la République constata que le Premier Ministre, s’était mis par cette action «dans l’impossibilité légale d’exercer ses fonctions» et le 21 octobre une ordonnance présidentielle révoqua Tshisekedi et son gouvernement. Etienne Tshisekedi n’a retrouvé la Primature que lors de son élection à la Conférence Nationale Souveraine le 15 août 1992. Une fois élu à la CNS, Tshisekedi mit au point une première mouture de son Gouvernement qu’il soumit au Président Mobutu pour avis dans le cadre du mécanisme de concertation entre le Chef de l’Etat et le Premier Ministre.
Cette formalité remplie, et après l’avis du Président de la République, la liste des membres du gouvernement devait ensuite être soumise pour investiture à la CNS avant de la retourner à la présidence de la République pour être sanctionnée pour voir d’ordonnance présidentielle. Ayant remarqué la faiblesse de la mouture initiale du gouvernement conçue par Tshisekedi où étaient absences toutes les grosses pointures de l’USORAL, Mobutu court-circuita la procédure convenue et rendit publique l’ordonnance de nomination des membres du gouvernement du Premier Ministre issu de la CNS. Il comptait sur le rejet de ce gouvernement par la CNS sous l’instigation des membres influents de l’USORAL qui avaient espéré en faire partie, mais s’en étaient trouvés écartés.
C’est l’effet contraire qui se produisit. Ayant flairé un piège, la CNS entérina le gouvernement en bloc pour faire échec aux manœuvres de Mobutu. Toutefois, le malaise subsistait. Les partis de la mouvance présidentielle n’étaient pas représentés dans ce gouvernement, sauf un seul Ministre appartenant au MPR qui faisait partie du gouvernement à titre personnel. De plus, il ne s’agissait pas de l’équipe d’ouverture, du gouvernement de large coalition promis par le candidat Premier Ministre dans son discours-programme conciliateur. En plus, le Premier Ministre n’avait guère procédé à une concertation avec les partis politiques, y compris au sein de l’Union Sacrée, avant d’arrêter ses choix. En fait, ce gouvernement était dominé par des Ministres «invertébrés», n’ayant pas d’expérience ministérielle. Le Premier Ministre avait opté pour des personnalités politiquement «vierges».
Malignement, l’ordonnance concernant l’investiture du Premier Ministre et celle portant nomination du gouvernement de transition fit seulement référence à la Constitution et au Compromis politique global. Cette démarche restaura l’autorité de Mobutu. Car la CNS et Tshisekedi ne se sont pas formalisés pour ce détail pourtant d’importance qui sera le fondement d’une crise qui ne va pas tarder à éclater. La nomination du gouvernement Tshisekedi par Mobutu ne constitua qu’un faux geste d’apaisement.
C’est le Président Mobutu qui allait déclencher les hostilités en déclarant qu’il ne signerait l’Acte de la Transition que si celui-ci était réaménagé; pour lui, la Constitution en vigueur devait rester d’application tant qu’une nouvelle constitution n’aurait pas été adoptée par référendum. Mobutu constatait que la cohabitation était mal partie du fait que la Conférence Nationale Souveraine avait choisi comme Premier Ministre le leader de l’opposition au lieu d’une personnalité neutre; elle contrevenait au principe de la neutralité de la Transition contenu dans le Compromis politique global. Suite à son refus d’accepter l’Acte Constitutionnel issu de la CNS et les tiraillements incessants entre lui et le Premier Ministre Tshisekedi, Mgr Monsengwo fit deux ouvertures dans son allocution du 27 octobre 1992 au Palais de la Nation.
Il faillait:
 que la question de la conformité de l’Acte de la Transition avec le Compromis politique global puisse être posée;
 que soit reconnue l’exigence de la participation effective de tous à l’exercice du pouvoir durant la Transition; en clair, l’exigence s’imposait d’un élargissement du gouvernement en vue d’assurer la neutralité politique. A la suite d’une rencontre, du 22 novembre 1992, entre Mgr Monsengwo, le Premier Ministre Tshisekedi et le Président Mobutu à Gbadolite, il fut convenu que le Premier Ministre entame des entretiens avec la classe politique en vue de constituer un «gouvernement de large union nationale».
C’est dans cette foulée que le Président de la République promulgua le 1er décembre 1992 deux ordonnances: l’une dissolvant le gouvernement en place et l’autre nommant à nouveau Tshisekedi; cette fois-ci comme formateur d’un gouvernement d’union nationale.
Cette démarche de Mobutu fut encouragée par une fraction de l’USOR, mécontente de la composition du gouvernement que Tshisekedi avait mis en place. Généreux, Mobutu expliqua que la nomination de Tshisekedi comme formateur était destinée à lui faciliter la tâche pour calmer la grogne dans sa famille politique et former ainsi un gouvernement plus équilibré. Tshisekedi refusa de se plier à ce diktat qu’il considérait comme provocateur de la part de Mobutu, et celui-ci passa à la vitesse supérieure en promulguant le 10 décembre 1992 une ordonnance confiant la gestion des affaires courantes aux secrétaires généraux des ministères qui acceptèrent tous le mandat qui venait de leur être confié.
Le 4 février 1993, Mobutu franchit une nouvelle étape en annonçant la révocation du Premier Ministre élu de la Conférence Nationale Souveraine.
Et le 29 mars 1993, il nomma à sa place Faustin Birindwa. C’est alors que s’ouvrit la période dite de «dédoublement des institutions». Etienne Tshisekedi décida que son gouvernement restait en fonction parce qu’il était le seul légal.
Ainsi le pays compte deux parlements, le HCR issu de la CNS et l’Assemblée Nationale mise en congé suite au Compromis politique global mais réhabilitée par le Président Mobutu.
Aux deux parlements furent adossés deux gouvernements: celui de Birindwa, issu du Conclave Politique National; il avait accès aux ministères et disposait des moyens de son action grâce à la Banque Centrale et à la force publique avec l’appui de Mobutu qui contrôlait l’armée; et celui de Tshisekedi, issu de la Conférence Nationale Souveraine.
Tshisekedi continuait à se considérer comme le seul Premier Ministre légal, mais sans l’impérium, et toutes ses luttes ultérieures se sont focalisées sur le retour à la légalité issue de la CNS et par conséquent sur son retour à la Primature en qualité de Premier Ministre élu à la CNS.

COURSEAUX OBSTACLES.
Cette lutte rappelle l’action d’une autre figure de proue de l’histoire politique du Zaïre, le patriarche Antoine Gizenga Fundji qui s’est toujours considéré comme le seul héritier légal du gouvernement Lumumba jusqu’à sa promotion en qualité de Premier Ministre du tout premier gouvernement de la IIIè République. La longue lutte de Tshisekedi pour revenir à la Primature s’était apparentée à une véritable course aux obstacles. Alors qu’il avait fait élire Kengo wa Dondo comme Premier Ministre au HCR-PT par les FPC, Mobutu était revenu à Tshisekedi pour lui faire miroiter son retour à la primature. La reprise de contact avec Tshisekedi s’était effectuée à travers ses envoyés.
En réalité depuis près de six mois, des pourparlers secrets se tenaient entre une délégation de l’USORAL (courant Tshisekedi) conduite par Kibasa Maliba et celle des FPC sous la direction de Mandungu Bula Nyati. Ces rencontres avaient lieu la nuit à partir de 21 heures à la résidence de Mandungu. Je faisais partie de la délégation des Forces Politiques du Conclave. C’est à la réunion de Gbadolite où Mandungu Bula Nyati et Bemba Saolona étaient allés faire rapport à Mobutu sur l’avancement de ces pourparlers qu’il fut apprêté le projet de l’ordre du jour des prochaines rencontres qui allaient à présent se tenir au grand jour entre les deux fami11es politiques. D’ailleurs Tshisekedi lui-même avait révélé le 7 janvier 1995, lors d’un meeting, l’existence de ces contacts et il avait, à cette occasion, laissé entendre que Mobutu avait accepté de le rétablir dans ses fonctions de Premier Ministre et de revenir à l’ordre de la CNS en ne reconnaissant que le HCR issu de la Conférence Nationale Souveraine. Ces déclarations de Tshisekedi étaient faites pendant que fonctionnait le gouvernement Kengo. Elles faisaient quelque peu désordre et ajoutaient à la confusion habituelle à laquelle participait la stratégie de Mobutu. Une chose était claire, Mobutu avait décidé de rendre publics ces contacts avec les hommes de Tshisekedi, certainement dans le but de calmer les troupes de l’USORAS et d’envoyer en même temps un message à Kengo pour lui signifier qu’il était toujours sur un siège éjectable. Mobutu l’empêchait ainsi de soulever des vagues.
Le samedi 10 juin 1995, j’ai été contacté dans l’après midi par Mandungu qui m’a demandé de me rendre chez Jeannot Bemba à la Gombe. Celui-ci me donnerait les détails d’une mission que lui et moi devrions effectuer.
A 19 heures, j’ai rejoint Bemba à sa résidence à la Gombe. Après un bref compte rendu de la rencontre de Gbadolite avec Mobutu, il m’invita à l’accompagner à Limete voir Etienne Tshisekedi. Nous devions lui annoncer la visite que projetait de lui rendre Mandungu Bula Nyati au nom du Président Mobutu le lundi 12 juin 1995. M. Mbayo, Conseiller Spécial de Tshisekedi, avait déjà aménagé pour nous un rendez-vous pour 19 h 30’. A l’heure dite, Bemba et moi avons été introduits dans le bureau de Tshisekedi situé dans une maison attenante à sa résidence, dans la même enceinte. L’accueil était chaleureux et amical car Bemba avait l’habitude de rendre visite à Tshisekedi de temps à autre. En ce qui me concerne, il me connaissait de longue date et nos rapports étaient fraternels.
D’entrée en matière, nous lui avons annoncé la visite de Mandungu à la tête d’une délégation des FPC pour le lundi 12 juin 1995. Il a marqué spontanément son accord et fixé l’heure du rendez-vous à 1l h30’. Cet accord rapide s’expliquait par le fait que jusqu’alors les contacts avaient été secrets et faisaient planer le doute sur leur existence. Pour une fois que tout cela allait se faire au grand jour, cela devrait crédibiliser le leader de l’opposition dans l’opinion. En effet, lorsqu’il en avait fait cas à son meeting du Parc de la Révolution en janvier, l’opinion était restée sceptique.
Nous lui avons fait savoir qu’il serait normal, en signe de réciprocité, qu’une délégation de sa famille politique aille aussi rencontrer le Président Mobutu, chef de famille politique des FPC, afin de finaliser leur rencontre au sommet à Gbadolite. C’est alors que Tshisekedi s’est cabré et a rappelé que le siège des institutions était Kinshasa. Il n’était pas question que les siens aillent à Gbadolite. Selon lui, Mobutu devait d’abord expliquer pourquoi lui, Chef de l’Etat, se complaisait à séjourner dans sa résidence de villégiature, dans son village, loin de Kinshasa. «On ne pouvait pas gérer un Etat moderne de façon aussi relaxe». J’intervins pour lui demander de dissocier les choses: «Il vous faut d’abord vous prononcer sur le principe de la visite de réciprocité au lieu de vous cabrer sur le lieu de la rencontre
Il retorqua qu’il n’etait pas opposé à cette visite, mais si tout dépendait de lui, il n’était pas question de se rendre à Gbadolite. Il allait soumettre le problème aux autres membres du directoire de l’USORAL, nous a-t-il dit. Si la majorité se prononçait pour ce voyage à Gbadolite, il s’inclinerait. Pour lui, c’était non. Nous l’avons prié de ne pas influencer les autres membres. Il nous a assuré qu’au cours de la réunion qui se tiendrait à ce sujet, il ne donnerait son point de vue qu’après avoir écouté tout le monde sur la question.
Il nous invita même à aller rendre visite à Kibasa Maliba pour apporter le même message. C’est ce que nous avons fait un jour plus tard le 11 juin
1995 à 12 heures.
Après l’avoir mis au courant de l’objet de notre visite, nous avons insisté sur l’élément confiance qui commandait une meilleure issue des contacts secrets entretenus depuis de nombreux mois. Il y avait lieu de privilégier l’essentiel, et le lieu de la rencontre importait peu. Il fallait plutôt considérer l’enjeu.
Kibasa nous rassura qu’il ferait tout pour que les choses aillent. Etienne devrait clarifier la situation. Lui-même Kibasa se trouvait mal à l’aise avec les «combattants» qui distillaaient, avec le concours de certains membres influents de l’UDPS, un venin sur ses relations avec Etienne en faisant naître un doute sur sa fidélité à l’USOR. Tshisekedi devait prendre ses responsabilités et aller occuper la Primature pour que l’on aille de l’avant. Après accord de l’USOR, le lundi 12 juin 1995, une délégation des FPC, conduite par Mandungu Bula Nyati et composée de Jeannot Bemba, Idambituo Bakaato, Siazo, Fundiko et moi-même, arriva à la résidence de Tshisekedi à Limete à 11h30’.

MOBUTU ORCHESTRA TOUT.
Contrairement à leur attitude agressive habituelle à la vue des membres des FPC, les combattants de l’UDPS nous réservèrent un accueil enthousiaste lié sans doute à l’espoir que cette visite marquerait le démarrage du processus du retour de leur leader à la Primature. Une première phase était prévue où toute la délégation assisterait à l’entretien introductif entre Mandungu et Tshisekedi; ensuite les deux personnalités continueraient les pourparlers en tête-à-tête. Dès que la délégation fut introduite dans son bureau, Tshisekedi inversa l’ordre pré-établi. Il garda Mandungu dès le départ et les autres membres de la délégation furent conduits dans une paillote servant de salle d’attente. Après une demi-heure de réunion en tête-à-tête, deux personnes furent invitées à rejoindre Tshisekedi et Mandungu. Il s’agissait de MM. Idambituo pour les FPC et Kibasa pour l’USORAL. Rien n’a filtré de la rencontre entre les quatre personnes si ce n’était l’annonce de la visite fixée au 14 juin 1995 à Gbadolite de la délégation de l’USORAL sous la conduite de Kibasa Maliba. C’est après cette visite que les grandes manœuvres ont été engagées pour faire partir Mgr Monsengwo de la présidence du HCR-PT après avoir récolté le nombre des signatures requises.
C’était le prix à payer pour le retour d’Etienne Tshisekedi à la Primature. Si Monsengwo est effectivement tombé, Tshisekedi par contre n’a pas pu retrouver le chemin de la Primature.
Tout semblait indiquer que l’USOR et son leader ont une fois de plus été roulés dans la farine. En réalité, selon les indiscrétions, c’est Tshisekedi lui-même qui a été à la base du blocage du processus.
En effet, Mobutu avait posé deux conditions que Tshisekedi devait remplir préalablement avant de retrouver la Primature. Tout d’abord il devait signer un document garantissant qu’il n’engagerait pas de poursuites judiciaires contre lui une fois à la tête du gouvernement comme il ne cessait en toute occasion de le déclarer. Ensuite, il devait aller rassurer les généraux que non seulement ils garderaient leurs postes, mais en plus qu’ils ne seraient pas inquiétés par des actions en justice. Invariablement Tshisekedi répondait qu’en tant que légaliste, il ne pouvait donner une quelconque garantie en marge des textes légaux qui protégeaint tous les citoyens.
Devant une telle intransigeance, le processus s’arrêta. La seule victoire que Mobutu et Tshisekedi ont partagée ensemble se trouvait être l’effacement de Mgr Monsengwo des institutions de la Transition. Ils se trouvaient ainsi débarrassés d’une personnalité qui leur faisait ombrage dans leur lutte pour la présidence de la République. Aussi bien dans l’opinion nationale qu’internationale, Mgr Monsengwo émergeait comme la personnalité qui pourrait être plébiscitée pour le pouvoir suprême. C’est ce qui avait fait que les deux protagonistes pour ce fauteuil avaient enterré la hache de guerre pour écarter d’abord le danger que constituait Mgr Monsengwo. En plus, avec la destitution de ce dernier de la présidence du HCR-PT, Tshisekedi prenait sa revanche sur le parrain de la troisième voie ayant porté à la Primature Kengo wa Dondo qui avait ainsi usurpé avec la bénédiction du prélat, le poste qui lui revenait de plein droit de par la volonté du peuple réuni en conférence. Toutes les manœuvres montées par Mobutu pour écarter Tshisekedi de la Primature ne l’avaient pas découragé pour autant. Son voyage en décembre 1996 à Nice pour visiter le Président malade avait eu également pour but de confirmer sa réconciliation avec lui. A cette occasion, Mobutu laissa entendre, selon Tshisekedi, qu’il lui confierait la formation d’un gouvernement d’union nationale.
De retour à Kinshasa le 17 décembre 1996, Mobutu ruina les espoirs de Tshisekedi en chargeant Kengo de former un nouveau gouvernement.
Par la suite, les événements se précipitèrent. Le 18 mars 1997 le HCR-PT adopta un «Acte d’Assemblée» démettant le gouvernement Kengo.
Tout en relevant les irrégularités qui avaient entaché cet acte, Kengo présenta sa démission le 24 mars 1997 après que Mobutu eut choisit de prendre acte de la décision du Parlement.
I1 semble que ce fut Mobutu qui avait orchestré en sous-mains le vote au HCR-PT qui a fait tomber le gouvernement Kengo.
Tout serait parti d’un conseil de Foccart, Monsieur Afrique de l’Elysée, à Mobutu sur son lit d’hôpital lui recommandant de transférer ses pouvoirs à Kengo en attendant sa guérison.

AVANT SA MORT, MOBUTU LE ROULE.
C’est cette démarche de Foccart qui aurait décidé Mobutu, de connivence avec Tshisekedi, de faire naître en dehors des chefs de file des formations politiques, un groupe des jeunes activistes, conseillers de la République aussi bien de l’USOR que des FPC, avec pour mission d’actionner le HCR-PT pour obtenir l’Acte d’Assemblée à la base du départ du gouvernement Kengo.
Mandungu Bula Nyati et son directoire n’avaient récupéré le mouvement qu’après coup. C’est dans cette foulée que le fin avril 1997, Kibasa, à l’issue d’une réunion des parlementaires de l’opposition, a annoncé que sa famille politique appuyait la candidature de Tshisekedi à la Primature. Devant le rétablissement d’un consensus au sein de l’opposition radicale, Mobutu avalisa cette décision dès le lendemain.
Le 3 avril, Tshisekedi annonça la composition de son gouvernement sans avoir procédé à aucune consultation et réserva six ministères à l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) de Laurent Désiré Kabila. Il invita l’AFDL à se rallier à lui et, à travers lui, à l’ordre légal institué par la Conférence Nationale Souveraine (CNS).

ILS DETRONENT MONSENGWO.
En se réclamant de la Conférence Nationale Souveraine, il se retrouva en contradiction par rapport à ses prises de position et ses engagements antérieurs ainsi que par rapport aux conditions dans lesquelles il avait accepté de revenir au pouvoir (présentation de sa candidature par les parlementaires du HCR-PT, aval présidentiel). Il prit aussitôt la décision de dissoudre le Haut Conseil de la République-Parlement de Transision pour faire place au seul Haut Conseil de la République institué par la CNS et mis ainsi fin à la bipolarisation de la vie politique au Zaïre. Il décréta qu’à partir de ce jour, le Zaïre serait régi par la Constitution édictée par la Conférence Nationale Souveraine. Sa démarche fut aussitôt récusée par la classe politique. Le 5 avril 1997, les Forces Politiques du Conclave, l’Union Sacrée de l’Opposition Radicale et les Alliés de Kibasa ainsi que le cartel de Kengo lui retirèrent leur confiance. Mobutu choisit le Général Likulia Bolongo pour le poste de Premier Ministre. Le 11 avril 1997, celui-ci rendit publique la composition de son gouvernement dit de Salut National. L’entrée de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) à Kinshasa le 17 mai 1997 emporta les institutions en place. Une nouvelle page de l’histoire s’est depuis lors ouverte avec des formes nouvelles de lutte pour le pouvoir.
Evariste Mabi Mulumba, Congo-Zaïre, Les coulisses du pouvoir sous Mobutu, Editions de l’Université de Liège, Belgique, 2011, 458 pages. Chapitre 12. Etienne Tshisekedi wa Mulumba et la Primature face à la puissance de manipulation de Mobutu Sese Seko.


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