Congo : ce qui va arriver
  • jeu, 19/03/2015 - 03:15

Rentrée cruciale que celle qui a lieu en ce début de semaine succédant au déluge programmé et manqué par l’opposition mi-janvier lors de la session extraordinaire du Parlement. Le décor apocalyptique n’a pas changé, bien au contraire, il s’est consolidé avec le débat sur le calendrier électoral global réclamé par l’opposition à la suite des Occidentaux, publié par la CENI mais contesté par les chancelleries occidentales aussitôt rejointes par l’opposition.

Ajouter à cela le débat sur le découpage territorial qui fait passer le nombre de provinces de 11 à 26 et celui sur la décentralisation, tout comme les risques réels d’implosion de la majorité au pouvoir, tout paraît indiquer qu’en dépit de ses excellents résultats au plan économique et sécuritaire, le navire Congo vogue droit vers un rocher qui va le désintégrer.
Secoué début 2015, par un mouvement populaire surmédiatisé, le régime Kabila s’est plié sans tomber, au grand dam des USA et de certaines chancelleries de l’UE, à en croire le Belge Tony Busselen, spécialiste de la région des Grands lacs, marxiste,collaborateur du magazine Solidaire, mensuel papier et site web du Parti de Travail de Belgique, auteur de «Congo, une histoire populaire», éd. Aden, 2010.
Le Belge donne les clés pour comprendre ce qui s’est passé et se passera au Congo dans les années qui viennent.
Dans cet entretien réalisé par Olivier A. Ndenkop, l’auteur du livre «Congo, une historie populaire» révèle aussi les techniques utilisées par certains pays occidentaux et des multinationales capitalistes pour affaiblir l’État congolais afin de piller ses ressources minières en toute tranquillité.

Le 19 janvier 2015, des jeunes sont descendus dans la rue pour contester la nouvelle loi électorale. Pourquoi cette mobilisation subite des Congolais?
La nouvelle loi électorale qui a été votée le 17 janvier au Parlement contenait dans son article 8 une phrase qui était fortement contestée. C’était la phrase suivante: «La liste électorale est actualisée en tenant compte de l’évolution des données démographiques et de l’identification de la population». L’opposition expliquait cette phrase comme si la composition de la liste des électeurs dépendrait du recensement populaire. Cela impliquerait, selon elle, que les élections ne pourraient pas être organisées avant la fin du recensement. Or, toujours selon l’opposition, ce recensement demanderait trop de temps. Dans cette interprétation de la phrase, les élections ne pourraient pas se faire à la fin du mandat présidentiel prévu par la Constitution pour 5 ans, mandat qui devrait se terminer fin 2016. Pour l’opposition, cette phrase constituait la preuve que la loi électorale était une façon de prolonger le mandat de Kabila et de violer la Constitution. Les opposants avaient tout fait pour empêcher même la discussion sur cette loi. Avec une soixantaine de parlementaires (sur 500), ils avaient organisé un concert de sifflets pendant deux heures dans le Parlement pour imposer un report de la discussion et du vote.
Or, le ministre de l’Intérieur, Boshab, expliquait mercredi 21 janvier au Sénat que cette phrase signifiait en pratique que là où le recensement aurait lieu, on y tiendrait compte pour constituer la liste des électeurs. Là où le recensement ne pouvait avoir lieu, on pourrait se baser sur les anciennes listes électorales de 2011 afin de les actualiser.
Cela signifiait que les élections n’étaient pas liées à la finalisation du recensement et qu’il n’était pas question de violer la Constitution. Pour écarter tout doute, la phrase a été barrée. La majorité présidentielle se défendait d’avoir mis la phrase dans la loi, pour éviter... la contestation de l’opposition qui avait exigé lors de son Conclave à l’été 2013 l’organisation du recensement comme condition de la tenue des élections. En effet, le dernier recensement date de 1985. Le manque de données objectives par circonscription électorale concernant le nombre d’habitants, l’âge, le sexe, etc., était lors des élections précédentes aussi bien en 2006 qu’en 2011 la plus importante cause des disputes sur les résultats entre candidats. Et puisque l’opposition tapait ces derniers temps surtout sur la soi-disant intention du Chef de l’Etat de prolonger son mandat, le gouvernement pensait avoir trouvé une formulation qui évitait les deux procès d’intention: ne pas vouloir organiser des élections basées sur des données scientifiques et vouloir prolonger le mandat présidentiel. Le tout donne un peu l’impression d’un match de boxe simulé dans lequel les deux camps ont voulu jouer au plus malin et ont commencé à se cogner.

Comment une telle discussion juridique a-t-elle pu mener à la mobilisation de jeunes kinois?/strong>
En effet, on peut se poser la question. Car la vie quotidienne au Congo est pleine de problèmes concrets qui transforment l’existence des Congolais souvent en un enfer terrestre. Ces difficultés existentielles sont beaucoup plus pressantes pour les masses que la discussion sur l’interprétation juridique d’une phrase! Il y a le chômage énorme, la nécessité de protéger des communautés d’être chassées de leurs terres et de leurs maisons par des multinationales ou des grandes entreprises qui disent avoir acheté ces terres comme leurs concessions et d’y commencer une exploitation minière ou agricole; l’infrastructure qui empêche que les quartiers populaires soient inondés lors des pluies, le manque d’approvisionnement en eau et en électricité, manque d’hôpitaux, de soins de santé, etc. Or, les débats autour de ces problèmes sont effacés en faveur d’une atmosphère de campagne électorale avancée de quelques années. Cela entraîne aussi bien des forces dans la majorité que dans l’opposition. Cela arrange énormément l’opposition qui n’a en fait jamais reconnu les résultats des élections présidentielles de 2011 (remportées par Joseph Kabila) mais qui depuis ces élections n’a jamais pu mobiliser d’une façon significative.

Qu’est-ce qui a fait la différence cette fois?
C’est que début mai de l’année 2014, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, en personne est descendu à Kinshasa et y a déclaré que les Etats-Unis allaient financer les élections avec une somme de 30 millions de dollars à condition que la Constitution soit respectée en ce qui concerne la limitation du mandat présidentiel. Depuis lors, l’envoyé spécial d’Obama pour les Grands lacs, Russ Feingold (ndlr: depuis lors reparti aux Etats-Unis tenter de retrouver son mandat perdu de sénateur et en voie d’être remplacé), a répété plusieurs fois oukases et ultimatums d’une façon assez explicite. Quelquesjours après la visite de John Kerry, Russ Feingold déclara: «Our strong advice is that there is a global election calendar with the presidential elections no later than the end of 2016, and (that there should be) no attempt to disregard the unamendable stipulation of article 220» (ndlr: exigeant un calendrier global incluant la présidentielle se tenant guère au-delà de 2016). Et sur la décision de la Commission électorale nationale indépendante de commencer des élections locales et régionales en 2015, il disait: «The local elections are expensive but are not required by the Constitution. Organizing and financing these, but not the (presidential) elections, which are required by the Constitution, is not a believable approach» (ndlr: estimantque les élections locales tropchèresn’étaient pas exigées. Organiser et financer celles-cicontrairement à la Présidentielleexigée par la Constititionétaituneapprochepeucrédible). D’abord ces déclarations violent la souveraineté et donc aussi la Constitution congolaise puisque ce n’est pas au gouvernement étasunien de dicter le calendrier électoral au Congo. C’est une compétence de la CENI (Commission nationale électorale indépendante). Ce type d’ingérence est d’ailleurs allé trop loin. Des ambassadeurs occidentaux ont pris des initiatives de réunir des hommes politiques de la majorité et de l’opposition afin d’arriver à un consensus autour du calendrier électoral et de donner des injonctions à la CENI d’accepter ce «consensus».
Le samedi 31 mai, le Président Kabila a même convoqué tous les ambassadeurs présents à Kinshasa et a dénoncé «les initiatives de certains de nos partenaires extérieurs qui donnent l’impression de vouloir créer anarchiquement des structures parallèles aux institutions légitimes en place en RDC pour gérer des questions relevant constitutionnellement de ces dernières. Pareilles initiatives seraient, selon le chef de l’Etat, nulles et de nul effet car ne répondant à aucune sollicitation des institutions étatiques de la RDC qui n’est pas un pays sous tutelle».
Or, Russ Feingold n’a pas reculé. Il a continué à taper sur le même clou. Il faut aussi dire que l’équipe des envoyés spéciaux pour la région des Grands lacs qui agit comme une équipe représentant la Communauté internationale qui accompagne le processus de paix à l’Est du Congo reprend comme un écho le même thème étasunien dans ses déclarations. Ce qui n’est pas étonnant puisque cette équipe est dominée par des diplomates occidentaux.
Il faut savoir que dans le monde politique congolais, même chez certains hommes politiques de la majorité, des déclarations sur leur pays venant de Washington, Paris et Bruxelles sont reçues comme la parole de Dieu. Des journaux, titrent sans gêne depuis lors une série interminables d’articles dans le style «Elections en RDC, la CENI dos au mur» ou encore «Obama ne décolère pas»: «Kabila must go!». Ainsi, le gouvernement étasunien a réussi à créer une situation de facto où la campagne électorale domine la vie politique deux ans avant les élections. C’est un acte de déstabilisation qui n’est pas à sous-estimer.

Qu’est-ce qui a permis au pays d’éviter ce que certains appelaient déjà le «Printemps congolais»
Les événements à Kinshasa et à Goma, n’étaient pas un soulèvement populaire comme on a vu, par exemple au Burkina Faso. La population kinoise n’a pas suivi en masse les appels de l’opposition d’occuper le Parlement à l’exemple du Burkina Faso. Il n’y a eu des manifestations ou mouvements que dans 9 des 26 communes de Kinshasa. A aucun moment, les manifestants ont réussi à se joindre et former un cortège imparable. Il faut aussi mentionner que juste ce même lundi 19 janvier, il s’est déroulé un événement assez extraordinaire, la visite d’État du Président angolais Eduardo Dos Santos à Kinshasa et la signature de quatre Accords entre les deux pays. Tout cela a été montré à la télévision en direct. On a pu voir comment le président angolais était accueilli à l’aéroport de N’Djili, où il est monté dans une limousine qui a traversé sans problèmes la ville jusqu’au Palais de la Nation au centre de la ville à Gombe.
A Ouagadougou, on compte 1,4 million d’habitants et on a parlé d’un million de manifestants, les images ont montré l’ampleur du mouvement. Or, Kinshasa est une ville de plus de 10 millions d’habitants. L’opposition y a lancé des tracts dans les quartiers, appelant la population à occuper le Parlement. En plus, dès le lundi matin, il y a eu un flot de messages sur Twitter et Facebook avec des photos et des vidéos qui devaient encourager et mettre en colère les gens. On a vu défiler par exemple une vidéo de l’explosion d’une armurerie au Congo-Brazzaville d’il y a des années avec des images cruelles, montrant des gens qui avaient perdu leurs jambes, etc., expliquant que c’était la répression par la police et l’armée à Kinshasa à ce moment. Des images venues de Haïti ou du Burkina Faso. C’était tellement grossier que même France 24 et Le Monde ont consacré des articles à ces tentatives d’intoxication et de déstabilisation massives.
Le fait est que la population n’a pas suivi massivement, et elle a aussi désapprouvé les actes de pillage et de vandalisme. Il y a 60 bus de la société publique de transport Transco détruits et aussi plusieurs stations et bureaux de Transco. Au total, on estime les dégâts pour cette société à 900.000 dollars. La maison communale de Ngaba a été détruite par le feu, les archives aussi. Des stations de police brûlées. Le mercredi soir, on a montré à la télévision nationale, la RTNC, les images de ces violences et aussi l’explication du ministre Boshab. Ensuite, il y a eu aussi la coupure de l’Internet et des services SMS. Et le jeudi 22 janvier, il n’y a plus eu de manifestations. Cela a pourtant duré jusqu’au lundi 26 janvier avant que la décision de barrer la phrase contestée ne soit prise.

On parle d’une répression sanglante, avec des chiffres de victimes allant de 14 à 42…
Qu’il y ait eu des morts c’est regrettable, surtout quand on se rend compte qu’il s’agissait d’une querelle politicienne autour d’une phrase qui n’était même pas nécessaire, qui en était la cause! Il est probable qu’il y ait eu des dérapages de la part de la police dans certains cas, il est aussi probable que certaines sociétés de gardiennage occupées à protéger des sociétés, des bâtiments et autres biens, aient réagi avec trop de violence comme il est probable qu’il y ait aussi eu de la violence de la part des pilleurs et émeutiers et que les manifestants politiques n’aient pas su ou pu encadrer leurs groupes. Mais il est trop facile de mettre tout ce bilan sur le dos de la police et du gouvernement comme l’ont fait plusieurs diplomates et media occidentaux. Il faut rappeler que le budget de la police congolaise n’est même pas un sixième du budget de la police belge pour un pays 80 fois plus grand et avec 7 fois plus d’habitants. Il faut aussi clouer le bec à certains nostalgiques du Mobutisme: on peut comparer le bilan de ces manifestations avec le bilan des trois jours de pillages par les soldats de Mobutu fin janvier 1993 sous le régime que certains exaltent toujours aujourd’hui. Aucun chiffre cité aujourd’hui n’approche même de loin du bilan de janvier 1993: 2.000 morts, la ville complètement détruite et 1.300 expatriés qui ont dû être évacués!

Beaucoup de gens tirent des événements d’octobre 2014 au Burkina et de janvier 2015 au Congo la conclusion que les peuples sont résolus à se débarrasser définitivement des pouvoirs perpétuels en Afrique. Êtes-vous de cet avis?
Je vois dans votre question deux points de discussion: est-ce que le combat des peuples consiste à se débarrasser des pouvoirs perpétuels et, deuxièmement, est-ce qu’on peut comparer les événements au Congo à ceux du Burkina?
Pour la première question, ma réponse est que les peuples se révoltent car ils ne voient pas d’issue à la crise, à la faim et à la misère. Pendant les 50 ans d’après les indépendances, l’impérialisme n’a jamais arrêté de combattre les indépendances. Les capitalistes-impérialistes ont installé des dictatures néocoloniales comme ceux de Compaoré et de Mobutu. Avec l’aide de ce type de dictatures néocoloniales, ils ont créé des dettes odieuses. Ils ont pu manipuler jusqu’au début de ce siècle, quand des économies émergentes ont changé la donne, les prix des matières premières. Les multinationales peuvent continuer à piller l’Afrique, mais contrairement à la période coloniale, ils n’investissent plus dans les États, dans le social ou les infrastructures. Dans son livre Chasseurs de matières premières, éd. Investig’Action-Couleur livres, Raf Custers compare le comportement des multinationales occidentales comme des météorites qui, après l’épuisement des ressources qu’elles sont venus exploiter, laissent derrière elles de grands trous vides sans que l’environnement ait tiré le moindre bénéfice. Les explosions de colère populaire reflètent combien les peuples en ont marre de cette situation de misère dans laquelle l’impérialisme les tient. Mais tant que l’on fait penser aux gens que la seule voie pour faire changer leur sort consiste à se battre pour l’alternance de leurs dirigeants, le changement ne sera pas du tout acquis.Au Burkina Faso, ToléSagnon, ancien dirigeant du CGT-B, le plus grand syndicat du pays, posait très pertinemment la question lors d’une interview: «Pour moi, le débat qui vaut la peine d’être mené est la nature du changement attendu par notre peuple. Si l’alternance à la tête de l’État signifie un changement de personne pour la remplacer par une autre personne du même système, qui va mettre en œuvre les mêmes politiques de dépendance, les mêmes politiques économiques, en quoi cela servira-t-il les intérêts du pays réel qui se retrouve dans les rues?»
Jean-Marie Bockel, ancien ministre de la Coopération au développement sous Nicolas Sarkozy l’a très bien compris. Il commentait la chute de Compaoré en ces termes: «Quelles que soient les qualités d’un certain nombre de chefs d’Etat, à un moment donné, il y a l’usure du pouvoir». Prenons les exemples de Mobutu au Congo, Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Egypte. Tous ont été pendant plusieurs décennies des alliés majeurs des puissances occidentales et de leurs intérêts économiques. Mais tous sont arrivés au point de rupture, où ils n’étaient plus capables de contrôler leur peuple et gérer leur pays au seul profit des multinationales et des intérêts géostratégiques étasunien et français. Tous ont dû partir.
Les gouvernements occidentaux ont développé des stratégies pour «gérer» la colère des peuples et en même temps «accompagner la relève de leur personnel politique». Les dirigeants peuvent changer, mais leur politique pro-occidentale doit continuer. Nous avons vu comment les Etats-Unis et l’Europe ont essayé «d’accompagner» le printemps arabe en Egypte, Libye et la Syrie. Et quand on voit que le Président et le gouvernement de transition au Burkina sont composés effectivement d’anciens hommes de main de Compaoré et d’hommes politiques pro-Occident, on peut être sûr que le combat du peuple burkinabè n’a fait que commencer.

Et en ce qui concerne la comparaison des événements au Congo et ceux au Burkina…
Cette comparaison montre comment on dissocie le débat sur la politique de Kabila de la discussion formelle sur le nombre des mandats de sa personne. Cela montre comment cette discussion sur la fameuse alternance fausse le débat politique. Comparer Kabila à Compaoré arrange bien ceux qui veulent renverser Kabila dans une atmosphère démagogique, sans parler du contenu de sa politique et sans formuler aucune alternative. Mais il suffit de comparer les choix politiques faits par Compaoré avec ceux faits par Kabila pour se rendre compte qu’il s’agit de deux politiques complètement différentes. Là, où Kabila est accusé de «souverainisme» par des dirigeants occidentaux, Compaoré a été pendant toute sa présidence, un pilier crucial pour la domination de la France et des Etats-Unis dans la région. Le Burkina Faso de Compaoré a été pendant des années la base arrière pour tous les mouvements rebelles qui ont déstabilisé les pays voisins: la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Liberia ou la Sierra Leone. Compaoré a collaboré avec l’UNITA de Jonas Savimbi, avec Charles Taylor au Liberia et avec le RUF en Sierra Léone. C’est avec son appui et l’appui de l’armée française que les milices de Ouattara ont pu prendre le pouvoir en Côte-d’Ivoire. L’armée française et l’armée étasunienne ont toutes les deux une base au Burkina. Le Washington Post a écrit plusieurs fois que c’est à partir du Burkina que toute la région de l’Afrique de l’Ouest était mise à l’écoute des services de renseignements étasuniens. Le noyau de l’armée de Compaoré était encadré et formé par l’armée française.
Depuis les années 1960, quand la Chine populaire n’était pas encore admise comme membre des Nations Unies, il y a eu une grande guerre diplomatique entre les gouvernements de la Chine et celui de Taiwan pour nouer des liens diplomatiques entre les pays d’Afrique et leur pays respectifs. Pour Taiwan c’était une question d’isoler le plus que possible la Chine populaire. Pour la Chine c’était une question de rompre son isolement. Les pays africains devraient choisir et petit à petit la majorité des pays africains ont laissé derrière eux la politique d’isolement de la République populaire de Chine. Or, ensemble avec le Swaziland et la Gambie, le Burkina Faso de Compaoré sont aujourd’hui les derniers alliés de Taiwan en Afrique qui n’ont donc pas de relations officielles avec la Chine populaire. Juste deux semaines avant sa chute, Compaoré était encore un des seuls chefs d’Etat présents à Taipeh lors de la fête nationale de Taiwan.
Kabila c’est juste l’inverse. Il préfère d’abord l’alliance avec l’Angola, l’Afrique du Sud et les pays de la SADC. Ensuite vient la Chine populaire. Les partenaires occidentaux sont les bienvenus, mais sur pied d’égalité comme tous les autres. Le gouvernement à Kinshasa construit une grande armée avec l’aide d’accords de coopération militaire bilatérale avec beaucoup de pays, parmi lesquels les pays occidentaux ne forment qu’une minorité. Le refus de mettre sous tutelle le sommet de l’armée congolaise, irrite beaucoup les experts occidentaux.
Tout cela explique la méfiance profonde de la part de l’Occident envers Kabila et le traitement négatif de sa personne dans les médias. Tandis que Compaoré était loué, même encore quelques jours avant sa chute, par les Etats-Unis et la France pour ses «capacités de négociateur» dans des conflits dans lesquels il était lui-même acteur et arbitre sous l’œil bienveillant de Paris et de Washington. Le président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi et d’autres hommes politiques ont appelé les populations à «occuper pacifiquement la rue à partir du lundi 26 janvier jusqu’au départ de Joseph Kabila du pouvoir». Ce 26 janvier, contrairement au mot d’ordre des opposants, chaque Congolais a vaqué à ses occupations.

Au-delà des discours, quelle est la représentativité réelle de l’opposition congolaise?
Le problème n’est pas d’abord la représentativité de l’opposition, mais plutôt la politique qu’elle applique. Aujourd’hui, beaucoup de gens se moquent de Tshisekedi parce que sa démarche est prévisible et a depuis plus que deux décennies mené à des échecs innombrables. Tshisekedi refuse le dialogue quand on l’offre, il exige la capitulation totale de ses adversaires et il exige ni plus, ni moins que la présidence du Congo. Sinon, c’est l’appel au boycott, ou l’appel en l’air à la révolte qui n’est simplement pas suivi. Cette pièce se joue déjà depuis 1991 et c’est devenu une caricature. Mais on nie que cette caricature est le symbole pour une certaine politique et façon de faire de la politique qui est très largement répandue en RDC dans toute la classe politique, aussi bien chez certains de la majorité présidentielle que de l’opposition. On peut caractériser cette façon de faire de la politique comme suit: on veut arriver au pouvoir sur la base de calculs fantaisistes, une surestimation de ses propres capacités et sous la protection et avec l’aide des ambassades et puissances étrangères. Il y a manque de confiance dans les capacités du peuple congolais et manque de poursuite réel des intérêts du peuple congolais. La souffrance du peuple ne sert que comme fonds de commerce pour son combat personnel pour le pouvoir. Tous les opposants et même Muyambo et Katumbi, ont cette même façon de faire de la politique, dont Tshisekedi est la caricature. Or, le peuple n’est pas dupe et se méfie des hommes politiques en général.
Ensuite, il y a un réseau de l’opposition congolaise dure autour de la personne de Honoré Ngbanda, l’ancien bras droit de Mobutu, chef des «Hibous», aussi appelé Terminator. Ce réseau a construit une influence considérable dans la diaspora. Des sites assez professionnels, tels que celui d’Apareco ou Ingeta, véhiculent des analyses et «révélations», qui sortent du laboratoire de Ngbanda, qui lui est un produit typique des écoles des services de renseignements occidentaux. L’intoxication que Ngbanda sert, est inspirée par la stratégie de la guerre psychologique du général britannique Frank Kitson qui a développé sa théorie sur le «black progananda» au Kenya contre les MauMau et ensuite en Irlande contre le IRA. Ce réseau de Ngbanda essaie depuis 2005 de jouer un rôle dans chaque crise politique ou militaire au Congo. Il faut un peu insister sur qui est ce monsieur Ngbanda. Entre 1972 et 1997, Ngbanda a été un proche serviteur du dictateur Mobutu et de ses patrons étasuniens. En 1997 au moment de la chute du dictateur, il se trouve à Lomé en train de négocier de l’aide militaire pour sauver la dictature. Il attendra six années dans l’ombre, parce que comme il écrit dans l’introduction de son premier livre, il était conscient que le peuple congolais ne voulait plus rien savoir de lui et de l’ancien régime qu’il représentait.
Il lance alors en 2004 un livre où il prend une approche très critique contre les grandes puissances, qui pourtant le laisseront tranquillement faire son boulot de subversion contre le Congo les années qui suivent. La seule raison pour laquelle il prend cette posture critique envers les Etats-Unis et la France, consiste à faire oublier son passé criminel et pouvoir lancer une série de mythes et de mensonges qui doivent l’aider à la subversion au Congo. Et ces mythes, malgré leur absurdité, sont très connus et reviennent aujourd’hui dans chaque mobilisation anti-Kabila: «Kabila serait un Rwandais, qui a été mis à la tête du Congo par un complot de l’Occident et du Président rwandais Kagamé. Ainsi, aussi bien Kabila que Kagamé et Museveni seraient la cause du maintien de la violence à l’Est et les massacres de Congolais». Tout son verbiage anti-impérialiste ne sert qu’à faire avaler ce type de délires fascistes. Le vrai but de Ngbanda reste la restauration du régime néocolonial qu’il a servi pendant 25 ans au cœur même des services de renseignement, d’analyse et de répression.
En fait, Ngbanda applique une veille recette de l’extrême droite et des services secrets occidentaux, c’est de reprendre des thèmes de la gauche pour semer la confusion et pouvoir introduire une idéologie fasciste et raciste. Il est pour l’aile des anciens mobutistes rancuniers qui veulent coûte que coûte restaurer leur paradis perdu, ce que Soral est pour le Front National en France: un idéologue qui recrute pour leur cause. Son dernier livre a comme titre: La stratégie du Chaos et du mensonge, ce qui est assez dégoûtant puisque le titre pourrait aussi bien paraître chez des maisons d’éditions de gauche. Ngbanda reprend sans vergogne le titre du livre de Michel Collon: «La stratégie du chaos». Donc le livre du sieur Ngbanda a un titre volé: (La stratégie du Chaos). Et l’ajout «et du mensonge» sert à cacher sa propre méthode de travail ainsi que la nature fasciste de son organisation Apareco.

Après la neutralisation des rebelles du M23 en novembre 2013, quelle est la situation sécuritaire au Congo?
Le fameux accord d’Addis-Abeba stipulait que les pays voisins ne pourraient pas accueillir les combattants du M23. Donc, quand, contre toute attente, le M23 a été battu militairement par les FARDC avec l’appui de la brigade africaine de la Monusco, les autorités rwandaises et ougandaises auraient dû empêcher le retrait des soldats vaincus du M23 sur leur sol. Ils ont fait le contraire, ces soldats ont été accueillis et logés dans des camps au Rwanda et en Ouganda. La fameuse équipe d’envoyés spéciaux dominée par les Etats-Unis et l’Union Européenne, n’a pas bronché. Ces envoyés ont dit qu’il fallait «une solution politique» et ils ont imposé des négociations entre le gouvernement congolais et les M23.
La position du gouvernement congolais était qu’il n’y avait plus rien à négocier sauf la reconnaissance de la défaite des M23. Sous pression des envoyés spéciaux, Kinshasa a accepté de longues tractations à Kampala en gardant sa position. Cet exercice a mené à la signature de deux documents séparés: les M23 ont signé un document dans lequel ils renoncent à la rébellion et confirment leur dissolution. Le gouvernement a signé un document constatant que la M23 s’est dissout et s’engageant à faire ce qui est nécessaire pour la démobilisation et la rentrée des soldats du M23 en RDC. Résultat, deux ans après leur défaite, ces gens se trouvent toujours bien logés au Rwanda et en Ouganda. Ils refusent de revenir sous prétexte que le gouvernement congolais refuse l’amnistie pour tout le monde.
Dans les faits, Kinshasa a fait une liste d’une quarantaine de personnes qui ne peuvent pas profiter de l’amnistie car ils ont commis des crimes de guerre. Et tout ce chantage des rebelles et de leurs parrains à Kampala et Kigali se fait avec l’appui des envoyés spéciaux. Ces derniers mois, il y a quelques dizaines de combattants qui ont été rapatriés après des négociations entre Kinshasa et Kampala. Mais Kigali et Kampala ont toujours la grande majorité de leurs pions sur le banc de réserve et ils peuvent les renvoyer armes à la main au Congo quand la situation s’y prête. De deux, il y a eu une défaite militaire des rebelles ADF, ougandais dans le nord autour de Beni. Or, cette défaite est suivie par une terreur et des massacres de civils comme si une force obscure voudrait montrer coûte que coûte au monde entier en tuant des civils désarmés, que Kinshasa n’est pas capable de garantir la sécurité sur cette partie de son territoire.

Le 1er février 2015, pourquoi l’armée congolaise a décidé de lancer la traque des FDLR sans associer la Mission des Nations unies au Congo comme initialement annoncé?/strong>
Les FDLR c’est ce qui reste des anciennes milices qui ont participé au génocide de 1994 au Rwanda. On les estime aujourd’hui à 1.500. Ils se situent assez loin de la frontière rwandaise et ne forment pas une menace pour le Rwanda. Ce sont des gens qui ont aussi terrorisé la population congolaise et les réfugiés rwandais qui se trouvent en RDC. Ils contrôlent certaines activités économiques comme le commerce de charbon. Ils forment un problème objectif pour le gouvernement congolais puisqu’ils maltraitent et tuent la population et ils empêchent le développement économique. Il s’agit de combattants expérimentés, sans scrupule qui survivent déjà depuis plus de 20 ans aux différentes situations de guerre dans la région. En plus, ils sont très aptes à se cacher parmi la population et surtout dans le grand nombre de réfugiés rwandais estimés à 250.000 personnes. Tout cela rend assez délicate et dangereuse chaque opération de démobilisation forcée. N’importe quelle force qui fera ce travail - que ce soit les FARDC ou la Brigade Africaine de la MONUSCO qui est surtout formée pour des combats réguliers avec des troupes comme le M23 - court le risque de commettre des bavures et d’être accusée de tuer des civils. C’est la raison pour laquelle le gouvernement congolais préfère la voie lente et pacifique de démobilisation volontaire.
Or, le Rwanda prétend que les FDLR sont une menace pour sa sécurité et ajoute que le gouvernement congolais veut protéger les FDLR. Tous les experts non rwandais confirment que les FDLR ne forment pas actuellement une menace pour la sécurité nationale du Rwanda. En plus, il y a plusieurs rapports d’experts de l’ONU qui ont prouvé que le Rwanda a même renvoyé en RDC des anciens miliciens du FDLR pour déstabiliser l’Est du Congo. Bref, tout le monde sait que le Rwanda est de mauvaise foi dans cette affaire. Mais Russ Feingold et ses collègues de l’équipe des envoyés spéciaux, continuent à prétendre que le Rwanda a raison de s’inquiéter et d’exiger la destruction totale et immédiate des FDLR. L’offre de démobilisation volontaire qui a pris fin le 2 janvier 2015 a été fortement critiquée par le Rwanda, les Etats-Unis et l’équipe d’envoyés spéciaux. On suggérait en fait que Kinshasa voyait les FDLR comme des alliés et ne voulait pas leur disparition. C’est ainsi que dans son discours devant le Conseil de sécurité, en décembre 2014, le chef de la MONUSCO présentait les choses comme si le combat contre le FDLR devrait être pris en main et dirigé par la Monusco et que les FARDC pouvaient aider la MONUSCO. Ainsi, la question des FDLR sert de prétexte pour exiger une forme de tutelle sur le Kivu. Et c’est ça que le gouvernement congolais n’accepte pas. Maintenant, tout peut arriver: si les FARDC réussissent à faire un parcours sans faute en prenant leur temps, Kinshasa aura gagné la bataille pour la souveraineté et la fin de la MONUSCO se rapprochera. Mais il est aussi possible que de nouveaux combats s’annoncent, que le Rwanda s’y mêle en lâchant ses M23 renforcés. Ou que l’on accuse les FARDC de crimes de guerre. Bref, la pression et la menace contre la souveraineté et l’intégrité territoriales restent toujours présentes.

Comment expliquer le grand écart entre les richesses minières du Congo et la pauvreté des Congolais?
Les multinationales et les grandes sociétés se comportent en RDC comme cela leur convient. Elles achètent des concessions et les emploient pour spéculer sans les exploiter. Ou quand elles l’exploitent, elles le font sans aucun respect pour la population. Que ce soit First Quantum, Banro ou Freeport-McMoran ou que ce soit Damseaux ou Forrest, ils ont tous intérêt avec la poursuite de la fragilité de l’Etat congolais. Ils paient les taxes qu’ils veulent car l’Etat n’est pas capable de savoir même leur production exacte. Quand l’Etat ose les affronter comme cela a été le cas avec la société canadienne First Quantum, ils lancent une guerre totale contre Kinshasa dans les médias et devant la justice internationale. Ils ont les moyens pour cela et leur argumentation est facile: «les dirigeants corrompus congolais refusent la bonne gestion».
Ces sociétés ont des relations avec leurs gouvernements puissants dans leur pays respectifs et ces gouvernements défendent l’intérêt de ces sociétés. Le gouvernement canadien, par exemple, a retardé d’une demi-année l’annulation de la dette en 2010 suite au conflit entre Kinshasa et la société canadienne.
Hillary Clinton a mis la mine de TenkeFungurume, exploitée par la société Freeport MCMoran à la première place sur une liste des items économiques dans le monde que le gouvernement étasunien estime crucial pour sa «sécurité nationale». A la demande des familles Lippens, Forrest, Vastapan et Damseaux, Didier Reynders est allé demander au président Kabila de faire retirer la loi agricole qui prévoit que plus que 50% des actions de sociétés agricoles doivent appartenir à des nationaux congolais. Et en face de ce beau monde - qui se présente en plus comme l’incarnation de la civilisation et des règles de démocratie, bonne gouvernance et droits humains - se trouve un Etat et un gouvernement très fragiles avec un héritage historique extrêmement lourd.
Après 75 années de colonisation, 36 années de dictature néocoloniale avec toute la destruction économique et morale que cela implique, les Congolais ont dû subir une guerre d’agression et une situation de balkanisation qui a duré 5 ans. Cela a été suivi par une période de mise sous tutelle et de chaos de 4 ans. Et depuis 2006, la menace de guerre et le chantage restent forts. Le résultat: le gouvernement congolais avait en 2013 un budget 7 fois plus petit que le budget de l’Angola voisin qui connaît une période de 20 ans sans guerre. Or, l’Angola a une population qui est le tiers de celle de la RDC et une surface qui est la moitié de la RDC.
En plus, l’Angola a construit une unité militaire, politique et morale dans le combat contre le colonisateur et ensuite contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid et la rébellion de l’UNITA financée par la CIA. L’aide du Cuba révolutionnaire a été cruciale dans cette évolution. Alors qu’en RDC, les forces anti-coloniales ont été massacrées, combattues et isolées par les puissances occidentales car la position stratégique du Congo - au cœur même de l’Afrique - fait que le contrôle de ce pays est une question de vie ou de mort pour elles. En plus, les immenses richesses naturelles et le potentiel économique du Congo en général, font du Congo l’enjeu de la rivalité entre grandes puissances.

En 2016, Joseph Kabila qui a succédé à son père assassiné en 2001 aura passé 15 ans à la tête du pays. Quel bilan faites-vous de sa présidence?
Joseph Kabila a mis fin à l’état de balkanisation réelle de son pays qui a duré 5 ans. Il a obtenu que les armées d’agression quittent officiellement le pays et il a réunifié la République démocratique du Congo alors déchirée en 4 morceaux. Il s’est battu pour mettre fin le régime 1+4 qui a duré trois ans, dans lequel l’Etat congolais était très divisé et sous tutelle de la communauté internationale. Depuis, il a défendu la souveraineté du Congo, l’intégrité territoriale et l’unité du pays contre les nouvelles guerres en 2004, 2008 et 2012 lancées à partir de Kigali et de Kampala. Depuis la défaite militaire des M23, la situation s’est un peu calmée, mais la menace est toujours présente.
On peut aussi noter qu’au plan économique il a réussi à mettre fin à la très longue période dans laquelle il n’y avait plus aucune dynamique économique, période qui a duré de la fin des années 1970 jusqu’à environ 2008. Aujourd’hui, le Congo connaît un taux de croissance de 9% et le taux d’inflation est de loin le meilleur depuis l’indépendance. Il y a des routes qui sont construites, des concessions qui sont exploitées. La production de cuivre a dépassé le niveau record des années 1970 - 1980. Les marchés de Kinshasa ont été pendant des décennies approvisionnés pour une grande partie via l’importation de poulets, beurre, café etc., qui arrivaient dans les chambres froides. Aujourd’hui, la société propriétaire de ces frigos les a vendus et a investi dans l’agriculture au Congo même. Le maigre budget du gouvernement a été multiplié par 4 entre 2006 et 2012, tandis que dans cette même période la part d’aide budgétaire extérieure a diminué de 43% vers 6,4%. Au niveau des alliances et de coopération internationale, le Congo joue à nouveau un rôle important. Les bases sont jetées pour une alliance stratégique fondamentale Congo-Angola-Afrique du Sud. Joseph Kabila a continué la ligne de son père en ce qui concerne l’appartenance et l’intensification des relations avec les pays d’Afrique australe dans la SADC. Il a ouvert le pays aux économies émergentes, notamment la Chine qui est devenue le partenaire économique le plus important du pays. En même temps, il enlève chaque prétexte aux Etats-Unis et l’Union Européenne de lancer une agression ouverte et il laisse la porte ouverte pour la coopération avec tout le monde. Côté négatif et faible: il ne s’appuie pas sur un parti qui est plus ou moins unifié au niveau politique et idéologique mais sur un large front dans lequel on trouve beaucoup d’opportunisme et d’intrigues. Le résultat est que régulièrement des poids lourds du camp présidentiel le trahissent et cherchent à se positionner pour le futur. Il y a aussi des hommes politiques qui se trouvent dans son camp, qui défendent ouvertement une politique de soumission aux Etats-Unis et à l’Union Européenne. Deuxième grande faiblesse: aucune forme d’organisation qui lie ce gouvernement aux masses populaires. Les masses doivent toujours attendre que les choses soient résolues pour elles. On ne leur donne pas de rôle. Depuis que les comités du pouvoir populaire ont complètement échoué et ont été dissous, il n’y a aucune forme d’organisation qui a donné du pouvoir au peuple. Celui-ci n’a pas les moyens d’exiger un développement qui lui permet de résoudre ou d’avancer avec les problèmes quotidiens auxquels il est confronté. Tous les efforts et toute la dynamique économique se jouent au-dessus de la tête de la population. Souvent, le peuple ne voit pas cette modernisation comme un mouvement auquel il fait partie.
Enfin, troisièmement, il existe au sein du gouvernement aussi une certaine croyance aveugle dans le marché libre et dans la voie des économies émergentes comme seul principe de dynamique économique. Et il est vrai que pour développer les forces productives, ce marché libre est utile, comme les économies émergentes le prouvent. Mais cette voie a ses limites, elle l’a amplement prouvé dans les grandes économies capitalistes et en tant que marxiste je suis convaincu que tôt ou tard, on aura besoin du perspectif du socialisme pour garantir la continuité du progrès.

Comment entrevoyez-vous la présidentielle de 2016? Si le président Joseph Kabila ne se présente pas à la présidentielle de 2016, l’opposition ne sera-t-elle pas la principale victime de son émiettement, ceci au profit du parti du président sortant? A votre avis qui pourrait remplacer valablement Kabila et faire mieux? Doit-on craindre une guerre de succession?
La région Afrique centrale se trouve déjà depuis deux décennies dans l’œil de la tempête avec des génocides, guerres et massacres de millions de personnes, des énormes vagues de réfugiés mais aussi des victoires et du progrès modestes. La raison en est sa position géostratégique importante et la concentration des richesses naturelles unique dans un monde en perpétuels changements où les anciens maîtres sont décidés à défendre leurs positions privilégiées avec le feu et le sang et dans lequel les peuples veulent la paix et le progrès et regardent vers les économies émergentes dans l’espoir de se libérer du joug néocolonial. Si cette région pouvait se stabiliser d’une façon plus durable sur la base de ses propres forces et connaître un vrai décollage économique, ce serait décisif pour l’Afrique entière. Cela ne sert à rien de spéculer sur ce qui se passera au niveau des acteurs. En politique, il ne faut pas se baser sur des interprétations d’intentions de personnes. Et comme on a vu pendant la dernière décennie, des tournures spectaculaires au niveau des alliances et de personnes, on le verra encore les années à venir.
Le seul critère qui peut servir à juger les hommes politiques ce sera leur position politique. Et on peut bien décrire les choix politiques devant lequel le peuple se trouvera les années à venir: ou bien on se bat et on choisit de garder et surtout d’approfondir les progrès qui ont été faits au cours de la dernière décennie en ce qui concerne, la paix, l’unité et la souveraineté du pays, son indépendance et son ouverture décomplexée envers le monde et enfin sa croissance et redynamisation économiques. Ou bien les forces gagnantes seront celles qui plaideront pour le retour résolu vers une alliance avec les Etats-Unis et l’Union Européenne, le renforcement du régionalisme et des intérêts particuliers. Dans le premier cas, on assistera à une évolution vers l’émergence du Congo comme un pays fort, dans l’autre cas le chaos et la balkanisation menacent.

Le 25 janvier 2015, la loi électorale controversée a finalement été adoptée de manière consensuelle par le Parlement. Elle ne lie plus l’organisation de la prochaine présidentielle à un quelconque recensement de la population. Quelles doivent maintenant être les priorités aussi bien pour les populations que pour les hommes politiques?
La première priorité est d’exiger le strict respect de la souveraineté du Congo. Il faut exiger de l’Union Européenne et du gouvernement belge qu’ils assimilent la thèse de Patrice Lumumba «l’histoire du Congo sera écrite au Congo même et pas à Washington, Paris ou Bruxelles». L’idée que l’on peut imposer la démocratie à partir de la communauté internationale est à combattre. Je pourrais commencer ici une explication à savoir que la démocratie aux États-Unis ou en Europe est pleine d’injustices et défend les privilèges de 1% représentant les plus riches de ce monde. Mais même cette démocratie bourgeoise connaît des différentes formes et règles d’alternance aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, etc… Quand Obama déclare urbi et orbi en 2009 que «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes» c’est mensonger, hypocrite et manipulateur. Mensonger: car dans chaque pays, les institutions fortes, que l’on déclare être démocratiques, sont le résultat de l’histoire du pays même. C’est le résultat aussi bien des luttes populaires des masses concernées et dans ces luttes il y a toujours eu des dirigeants, des hommes et des femmes forts. Des gens comme Washington ou Lincoln aux Etats-Unis, Bismarck en Allemagne, ou Robespierre et Bonaparte en France ont eu des influences différentes sur les institutions, les règles d’alternance y compris. Pourquoi Obama décrète que c’est l’Afrique qui devrait suivre une autre voie? Pourquoi ne dit-il pas cela, par exemple, à cet Etat en construction qu’est l’Union Européenne où Jean Claude Juncker est devenu président de la Commission européenne, sans élections démocratiques et après avoir pendant 20 années occupé le poste de chef de gouvernement au Luxembourg et avoir combiné ce rôle pendant 8 ans avec celui de chef du puissant groupe euro? Sans faire allusion aux amis intimes d’Obama - la famille royale de l’Arabie Saoudite. Cette habitude de lancer de beaux discours mais en même temps employer deux poids deux mesures cache la vérité: dans tous les cas, ce sont les intérêts et l’agenda géostratégique étasuniens qui prévalent. Non, Lumumba avait raison. La démocratie pour le peuple congolais, sera le résultat du combat du peuple congolais pour sa liberté et absolument pas de l’action des gouvernements occidentaux qui ont bien leur agenda et leurs intérêts à défendre en RDC. Au lieu de l’hypocrisie «pas de démocratie sans alternance», il faut défendre «pas de démocratie sans souveraineté» en Afrique.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?
Cela veut dire que la souveraineté des institutions congolaises doit être respectée. Cela veut dire absence d’ingérence dans le travail de la CENI de la part des ambassadeurs et diplomates occidentaux. La souveraineté impose que les diplomates occidentaux cessent de soutenir la campagne de l’opposition qui est basée sur un procès d’intention du Président Kabila, et de cette façon créer une atmosphère poujadiste dans laquelle il n’y a plus de place pour un débat politique autour d’un programme de gouvernement. Elle suppose également que les diplomates qui «accompagnent le processus de paix», ne protègent plus les M23 et leurs parrains, en ayant trop de compréhension pour l’agression et l’arrogance des présidents Kagamé et Museveni envers le Congo. En matière de politique intérieure, les diplomates occidentaux doivent poursuivre une ligne de stricte neutralité. Dans le conflit international avec le Rwanda et l’Ouganda, ils ont à faire respecter les principes de la charte de l’ONU sur l’intégrité territoriale et le respect des frontières. On peut aussi se poser des questions sur la composition de ce qu’on appelle l’équipe conjointe des envoyés spéciaux pour la région des Grands lacs.
Il s’agit de 6 diplomates: l’Etasunien Russ Feingold, Koen Vervaecke pour l’Union Européenne, Frank De Coninck pour la Belgique, Martin Kobler, diplomate allemand et chef de la MONUSCO, l’Algérien SaidDjinnit, envoyé spécial de l’ONU pour la région des Grands Lacs et enfin le Malien Boubacar Diarra, Représentant spécial de l’Union africaine. En 2014, quand il s’agit de la paix en Afrique centrale, la communauté internationale est représentée par un Américain, trois Européens et deux Africains de l’Afrique du nord. Est-ce que c’est normal que dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a aucun représentant de l’Afrique australe ou des pays émergents dans cette équipe?
Les gouvernements étrangers ne respectent pas non plus la souveraineté de la RDC en laissant lancer des campagnes d’intoxication criminelle à partir de leur territoire. Lancer une vidéo avec des images cruelles d’une explosion d’une armurerie à Brazzaville et prétendre qu’il s’agit des conséquences de la répression policière au Congo, cela n’a rien à voir avec la liberté d’expression. C’est un acte criminel qui dans le contexte du lundi 19 janvier 2015 avait comme but de provoquer de la violence. Or, ces choses sont faites et organisées à partir de Paris, Bruxelles et ailleurs par des personnes et des réseaux qui agissent depuis des années en toute liberté, sous les yeux des services de renseignements étasuniens, français et belges.
Enfin, en RDC, la tenue des élections locales ainsi que la mise sur pied d’un système de recensement permanent reste très importantes. En ce qui concerne les élections locales annoncées pour cette année 2015, ce sera la première fois que le peuple choisisse librement les élus locaux qui vivent parmi eux. Jusqu’aujourd’hui, ces gens ont toujours été nommées d’en haut. Le fait d’organiser des élections à la base, peut contribuer à une évolution dans la mentalité de la classe politique congolaise. Cela peut renforcer le processus de formation de vrais partis politiques qui ont une vision de société cohérente au lieu d’être des rassemblements d’opportunistes qui cherchent à se positionner dans la lutte pour le pouvoir. Quant au recensement, au fur et à mesure que cela avance, les résultats seront une base scientifique pour l’organisation de l’Etat et de la représentation démocratique.
Entretien mené par
O. ATEMSING NDENKOP
Le Journal de l’Afrique n°7 Investig’Action, février 2015.


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