Pourquoi Léonnie Kandolo a quitté le CLC
  • mar, 09/06/2020 - 03:52

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1487|MARDI 9 JUIN 2020.

En août 2017, Léonnie Kandolo - fille de Damien Kandolo, premier PDG congolais de la GECOMINES, Générale congolaise des Minerais qui deviendra la GECAMINES, est parmi les rédacteurs et signataires du «Manifeste du citoyen congolais Esili» (c’est fini en lingala), signé à Paris, qui exige le départ du pouvoir, avant le 31 décembre, du président Joseph Kabila dont le dernier mandat s’était achevé fin 2016.

La dame dont le père disait : «Je n’élève pas des filles à marier, j’élève des filles qui doivent apprendre à se battre dans la vie», enchaîne ensuite avec le CLC, Comité laïc de coordination dont elle sera entre autres le porte-parole.
«J’ai été approchée par le professeur Thierry Nlandu qui m’a proposé de m’associer au projet de mise en place du comité, une idée du cardinal Laurent Monsengwo. Je n’étais pas une catholique pratiquante. Mais ma connaissance des mouvements citoyens et de la société civile les intéressait. On a démarré avec l’abbé Donatien Nshole. D’autres personnes dont l’historien Isidore Ndaywel nous ont rejoints».

Conférences-débats dans les paroisses et les diocèses, rencontres avec les politiques, tout est mis en œuvre pour expliquer aux Congolais la nécessité de contraindre le régime d’appliquer les accords de la Saint-Sylvestre qu’il a signés avec l’opposition en décembre 2016 sous l’égide de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, et d’organiser des marches pacifiques. Le 28 décembre 2017, les membres du CLC entrent en clandestinité suite à un mandat d’arrêt lancé contre eux. Néanmoins, le 31 décembre, la première marche a lieu. Elle sera violemment réprimée par les forces de l’ordre. Après la troisième manifestation, tout s’arrête.

«Si on avait continué, le pouvoir aurait cédé. Mais en fin de compte, les élections ont eu lieu et même s’il y a eu des tricheries, l’ancien pouvoir honni par la population n’a pas pu faire passer son candidat».
Pour Léonnie, tout ne fut pas rose. «Vivre enfermée pendant 13 mois, ne pas voir sa famille, c’est très dur. On a tenté de saccager ma maison, mon fils a perdu son travail. Je n’avais plus de revenus. On culpabilise d’avoir fait vivre des choses difficiles à des gens qui n’ont rien demandé. On est condamné, mais on ne sait pas quand on va sortir».

DEÇUE PAR LA SOCIETE CIVILE.
Léonnie Kandolo avoue avoir été un peu déçue par les organisations de la société civile, notamment féminines, qui ont manqué de solidarité et n’ont jamais fait de déclarations, excepté à titre personnel. Et déplore le peu de reconnaissance du travail abattu du CLC. «J’ai acquis une envergure africaine et internationale certes, mais les missions de consultation sont plus rares en raison de l’étiquette de politique que l’on m’a collée. Néanmoins, je ne regrette rien. Je suis très fière du travail accompli avec Thierry». Elle finit par quitter le CLC en février 2019. L’expérience du CLC aura permis à Léonnie de mieux connaître la société congolaise. «Notre peuple est capable de beaucoup de choses s’il y a un leadership fort et s’il est encadré. Il y a eu une prise de conscience. La société civile est lucide. Elle dénonce la confiscation du pouvoir à tous les niveaux par les partis politiques qui ont gagné et leur division. Est-elle écoutée? Les politiques doivent faire attention».

Toutefois, l’attrait d’un grand nombre de Congolais pour le «religieux» et les églises de réveil l’interroge. «On fait sans arrêt référence au religieux, à la Bible. Tout le monde prie. Le religieux a envahi l’espace public, véhiculant, au passage, des interprétations erronées sur les femmes». Malgré les batailles pour l’égalité entre hommes et femmes, le code de la famille reconnaît toujours le mari comme chef de famille. Que faire pour que le pays aille de l’avant? «Le plus grand combat est la lutte contre l’impunité, le vol et la corruption. Tant que l’on n’a pas jugé et sanctionné les voleurs, on n’avancera pas. C’est le rôle de la justice. C’est elle qui élève un Etat. On ne peut pas reconstruire le pays en un ou deux ans. Mais il faut prendre les décisions qui s’imposent et mettre en place rapidement l’Etat de droit», martèle-t-elle.
Léonnie Kandolo n’a jamais fait mentir les propos de son père. «J’ai toujours misé sur les compétences et le travail, le seul moyen d’être respectée et reconnue».

Née à Kinshasa, Léonnie Kandolo a passé une grande partie de son enfance, de son adolescence et ses années d’étudiante à Bruxelles en Belgique, où elle est arrivée à l’âge de 3 ans. «On ne rentrait au pays que pour les grandes vacances. On séjournait à Lubumbashi et à Kinshasa». De cette époque, elle garde de bons souvenirs. Elevée par une dame belge, Léonnie a été imprégnée de la vision de la vie de cette dernière. «J’ai eu une enfance heureuse. Nous étudiions dans une école religieuse mais on rentrait tous les jours à la maison». Ele a tout juste douze ans quand un grave accident de voiture bouleverse sa vie. «La dame est grièvement blessée, son mari est décédé. On a été placés en internat mais on est restés très proches d’elle».

Après une année dans l’ex-Zaïre pour apprendre le lingala, elle retourne à Bruxelles où une gouvernante française s’occupe des enfants Kandolo. En 1982, elle obtient une licence en gestion, option Marketing, à l’Institut des Hautes Etudes Economiques et Sociales de Bruxelles. Ce diplôme signe la fin de son séjour belge.
Sa licence en poche, elle regagne le Zaïre, où elle débute sa carrière professionnelle en entreprise, à la Sozacom, où elle restera trois ans, à Lubumbashi en 1985, où elle dirige l’Imprimerie-papeterie entreprise familiale, Impaza. «Mes enfants sont nés là-bas et mon mari y est décédé». Au Katanga, elle évolue toujours dans le milieu de l’entreprise, mais les défis et les enjeux y sont très différents. Première différence, son statut. «A Kinshasa, j’étais cadre salariée alors qu’à Lubumbashi, j’étais à la tête d’une entreprise qui employait de nombreuses personnes et opérait dans un secteur d’activité que je ne connaissais pas».

UN autre défi est de s’imposer comme femme dans un milieu professionnel peu féminin et de travailler avec des collaborateurs masculins plus âgés. Dans cet environnement très particulier, Léonnie Kandolo a su mettre à profit les valeurs héritées de sa famille, l’honnêteté, le sens des responsabilités, le goût du travail, les principes d’égalité et d’autonomie. «J’ai appris qu’une femme devait toujours mettre en avant son travail et sa compétence et dresser des barrières pour être prise au sérieux». Son professionnalisme et son sérieux lui valent d’être élue vice-présidente de l’ANEZA, le patronat zaïrois, ancêtre de l’actuelle FEC, pour le Katanga. Au début des années 2000, celle qui a été membre du Rotary, rejoint le milieu associatif avant de devenir une militante active.

Le déclic? La visite d’un hôpital où «j’ai vu une très jeune fille enceinte atteinte du VIH. Cela m’a bouleversée. Le médecin m’a dit qu’il y avait de nombreux cas comme elle. J’ai proposé à des amis avocats, dont Jean-Claude Katende, qui venait de terminer ses études, de travailler sur le sida chez les jeunes». De là naît «Protection Enfants-Sida», qui lutte contre tous types de discriminations à l’égard des jeunes infectés par le VIH, dont elle assure la présidence.
Parmi les actions menées au Congo, où Léonnie, alors établie en Afrique du Sud, se rend chaque mois, figurent la parution d’une Lettre mensuelle avec l’appui de l’Unicef, l’organisation de campagnes d’information dans des écoles et une tournée dans les provinces congolaises pour inciter les organisations des droits de l’Homme et celles de lutte contre le VIH-Sida à édifier des passerelles entre elles. «On a été à la base de la loi de protection des personnes vivant avec le VIH-Sida. En 2009, nous avons été primés par l’Arasa», signale Léonnie.

Bien évidemment, la question des droits des femmes ne pouvait la laisser indifférente. Léonnie devient membre de Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF) et du Cadre Permanent de Concertation des Femmes Congolaises (CAFCO), créé en 2005, dans la foulée de la participation des femmes congolaises au Dialogue inter-congolais de Sun City qui s’est tenu en Afrique du Sud en 2003. Ses thèmes de prédilection? Femmes et Sida, femmes et élection, femme et politique, égalité hommes/femmes, violences sexuelles, genre et conflit, etc.

Pour mener à bien ses combats, Léonnie Kandolo n’hésite pas à se former aux thématiques et aux techniques qu’elle ne maîtrise pas. Cette volonté d’apprendre ne l’a jamais quittée. «On n’est jamais assez formé. Pour acquérir de l’expertise et des compétences, j’ai donc suivi de multiples formations et fait de nombreux voyages», insiste-t-elle. En 2008, quand est vendue l’imprimerie familiale, renommée Impaco, après l’arrivée au pouvoir en 1997 de Laurent-Désiré Kabila, Léonnie s’installe à Kinshasa. Tout en poursuivant ses activités militantes, elle devient gestionnaire de différents projets, rapporteur de commissions, consultante pour des organisations internationales et régionales, rédactrice de plaidoyers, etc. Elle anime des émissions audiovisuelles et intervient fréquemment dans des colloques. Le tout sans jamais s’écarter de son fil conducteur : la lutte pour les droits humains, l’égalité, la démocratie et la pleine citoyenneté.

Des droits des femmes et des enfants et de la lutte contre tous types de discriminations, elle passe aux questions de gouvernance et de ressources naturelles, un sujet sur lequel elle s’était indirectement penchée. «Nous avions publié un document sur les droits des femmes dans les mines artisanales». Mais les problématiques sur lesquelles elle va intervenir seront différentes. «Au cours de mes expériences associatives, je m’étais rendue compte que, sans moyens financiers, on ne peut pas donner d’orientations valables et agir efficacement», indique-t-elle. D’où la nécessité d’instaurer au niveau de l’Etat une bonne gouvernance pour utiliser à bon escient les ressources publiques. Et dans un pays où les mines fournissent l’essentiel des recettes de l’Etat et des devises, le contrôle des acteurs opérant dans cette filière est essentiel.

Léonnie rejoint ainsi la campagne «Publiez ce que vous payez» de l’ITIE, Initiative pour la transparence dans les industries extractives. La bonne gouvernance dépend du choix des dirigeants. D’où l’indispensable implication des citoyens dans les processus électoraux à tous les niveaux. En 2006, Léonnie avait été candidate au Katanga aux Législatives nationales. «J’ai fait un bon score grâce à ma notoriété, mais je n’ai pas été élue». A l’approche des élections de 2011, repérée pour sa pratique du monde associatif et son combat pour les droits des femmes, elle intègre la mission nationale d’observation du processus électoral, mise en place avec l’appui de l’EISA, Electoral Institute of Southern Africa, une ONG qui s’est investie dans le renforcement des processus électoraux, la bonne gouvernance, les droits de la personne et les valeurs démocratiques en Afrique.

A la voir si active, on pourrait croire qu’elle ne prend jamais de repos. Elle aime pourtant lire, des biographies et des romans historiques. «Dans la lecture, on s’évade et on apprend. Mon père disait qu’une journée où l’on a rien appris est une journée perdue».
MURIEL DEVEY MALU-MALU.
Makanisi, 3 juin 2020.


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