Rencontre avec un baobab, Jean Gualbert Nyembo Shabani
  • ven, 02/10/2020 - 21:44

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1501|VENDREDI 2 OCTOBRE 2020.

Il se rappelle tout comme si c’était hier. Masque bucco-nasal jetable qu’il n’a pas quitté - «le COVID-19 existe bel et bien», affirme-t-il, même dans son vaste salon du premier étage au sofa de grande marque. Car il a vécu ça autour de lui, a vu deux personnalités majeures s’en aller devant lui. Il refuse de parler politique. Il insiste qu’on écrive rien. Qu’on ne mentionne même pas son nom… Il y a eu pourtant une conférence majeure dans l’amphithéâtre du Fleuve Congo Hotel où il a marqué les esprits. Tout Kinshasa y était. Des commentaires ont fusé, et fusent…

Dans cette énorme villa blanche plantée au cœur d’un jardin latifundiaire, juchée sur les hauteurs de la ville, restée intacte bien que réaménagée dans certaines parties avec un spectacle idyllique de cascades, l’immense baobab à la même allure reçoit dans son même pool house face à la géante piscine type olympique.

Toujours aussi aimablement entouré et assisté des siens qui répondent au moindre appel, il raconte ses relations contrastées avec Mobutu – « mais vers la fin » qui a gagné à le faire revenir au pays après sa brillante thèse de doctorat à la très réputée Université catholique de Louvain en Belgique sur le thème de l’industrie du cuivre dans le copperbelt africain.
Il réclame un tas de ses livres et me les remets. « Il faut les lire…».
Sa thèse avait fait un tel bruit dans les milieux des organisations financières internationales notamment du système des Nations Unies que celles-ci le réclament mais Mobutu briefé par son veilleur belge, l’ambassadeur Jean-Pierre Kimbulu Moyanso wa Lokwa, décédé en novembre 2019 à Bruxelles, réussit à lever la mise.

Reparti dans l’ex-Zaïre, le Katangais ne lève pas le pied à Kinshasa même s’il n’en parle aucune langue.
A Mobutu qui aimait se frôler à lui quand il était de bonne humeur et qui constate qu’il ne parle pas le Lingala, l’homme à la parole libérée l’aguiche, à son tour: « Mais vous, vous ne parlez pas le Swahili...». Et Mobutu, comme à son habitude, redevient sérieux et passe à un autre sujet. Ce Swahiliphone est l’un des ceux qui s’est le mieux intégré dans ce pays de l’Ouest.

«REVEILLER
LE LEOPARD QUI DORT».

Aussitôt après avoir quitté le poste de Gouverneur de la Banque Centrale, le 2 avril 1993 après avoir tout été, occupé tous les postes ministériels du secteur économico-financier et été patron de la Gécamines qu’il décide de se mettre «à l’écart de la politique », sans l’abandonner dès lors qu’il est constamment consulté par le nouveau Président, le fils Kabila qui a succédé à son père assassiné un 16 janvier 2001 par un « Kadogo» et qu’il rencontre, encouragé et accompagné par l’homme fort du régime, l’ambassadeur Augustin Katumba Mwanke, le seul qui savait dire des vérités au Raïs.

Il y vient avec l’ancien président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, plusieurs fois ministre et Premier ministre de Mobutu et avec son jeune frère « Triple P » - Pierre Pay-Pay wa Syakasighe, plusieurs fois ministre de Mobutu et Gouverneur de la Banque centrale comme lui, qui lui a cédé en 1911, l’institut d’émission après un long mandat de six ans battu à ce jour par le seul Jean-Claude Masangu Mulongo, seize ans - pour qui il a de l’estime.

« Ecoutez ces hommes», s’adresse d’un ton un brin condescendant au tout jeune président celui qui périt un jour de février 2012 dans un crash aérien non élucidé et au lendemain duquel l’Amérique du démocrate Barack Obama reconnaît le président congolais élu.

Que pense-t-il du Président, le fils du Sphinx de Limete, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo? Qu’a-t-il à lui dire ?
Si Jean-Gualbert Nyembo Shabani ne dit rien, faisant certainement prévaloir la théorie de l’occasion et de l’opportunité, on imagine tout. Il avoue l’avoir rencontré, avant et après l’élection et la proclamation par la Cour Constitutionnelle, et lui avoir remis un texte fondateur « Réveiller le Léopard qui dort », daté de novembre 2018 qu’il insiste que je lise «avant tout et tu y verras tout...».

Et comme toujours, Jean-Gualbert Nyembo Shabani n’a pas signé ce texte de 41 pages correctement assemblé comme un mémoire d’étudiant.
Il ouvre des pages qu’il me lit à haute voix, demande et comme insiste à ne rien publier.
Il n’a rien perdu Nyembo Shabani. Il n’a pris aucune petite ride qui n’ait été il y a dix ans. Il s’est étonnamment conservé.
Chemise sport de grande marque bien nette, frais comme lors des années «Banque du Zaïre», il est le même, confié aux soins d’un coiffeur méticuleux ne divulguant rien sur son âge.

« Quand tu avances en âge, c’est à ce moment que tu ne dois guère arrêter ton cerveau de fonctionner », conseille un sage africain venu me voir à Kinshasa.
Et Nyembo Shabani n’a rien arrêté.
Il me présente sa cité à Bibwa, un quartier de l’interland de l’Est de Kinshasa - The Bibwa City of Kinshasa - d’une surface de 80 hectares qu’il aide son épouse ophtalmologue à réaliser. Une vraie Smart City.
Au Katanga dans son village de Mombwe, il achève d’ériger un Centre hospitalier Feza et Fatuma Ya Kahinga, inauguration prévue imminement.

Il me brandit deux autres documents, numérotés 1 et 2 d’une centaine de pages. C’est la Fondation Feza et Fatuma Ya Kahinga. Tout y est : tracteurs, université, logements, eau, services de santé.
Il insiste sur l’œuvre de sa vie, son eau minérale « Ma Vie », la seule eau minérale naturelle qu’il est le seul à produire dans le pays, à 800 mètres du Pont Maréchal, à Matadi, au Kongo Central, via sa société Sogemil, le seul Congolais à entreprendre dans le secteur, une eau vantée sur son site comme «une eau minérale r-dcongolaise 100% naturelle ; acquise au contact des roches millénaires, enfouie durant son long parcours dans les profondeurs de la terre ; émerge de sa source à Thimpi sur un flanc des Monts de Cristal, dans le Kongo Central ; jouit d’un très haut degré de pureté originelle ; n’est traitée ni au chlore ni encore moins à aucun quelconque élément chimique. Sa particularité essentielle est significative est son parfait équilibre entre les deux grands classiques des sels minéraux : le calcium et le magnésium. Ce qui lui confère d’évidents effets pour la santé. Consommez-la sans modération ! Chaque jour, à chaque instant, à la maison, à l’école, sur le terrain de sport, etc.».

Dans ce Kongo Central où il s’est implanté, il annonce la production en décembre de gallons d’eau par sa firme Congo Plas mais aussi de boissons sucrées, une verrerie cette fois à Kisantu, à Kayivemba, dans le même Kongo Central, en avril 2021.
Quand on s’étonne qu’il fasse la verrerie plutôt que le plastic dans un pays où l’arachide se vend à même le sol, il a une bonne raison. « Au Congo, voire même en Afrique Centrale, aucun Africain n’a su se lancer dans ce secteur de verrerie. J’entends m’y installer si Dieu me prête vie dans un pays où toutes les banques et toutes les maisons d’alimentation appartiennent aux étrangers ».

« Il faut l’aider ». «Il faut qu’on puisse l’aider...». Avec récurrence, il répète. « Il y a des vrais enjeux dans ce pays. Il existe des plans... Ce mois de septembre avait été retenu... Advienne que pourra...».
Dieu nous a préservés!
« C’est lui qui a la signature... Il ne doit pas avoir peur ». Certes, pas facile... Il faut l’écouter et voir le sens. Pour l’instant, s’il dit beaucoup, il n’engage rien...

Il admire ceux qui, un jour, ont su se mettre debout, se sont dressés face à des redoutables. Ce sont des modèles adulés. Il monte la voix, me perce du regard. Pas de doute, il y croit dur comme fer.
Il a les yeux rivés vers Luanda en Angola, Kigali au Rwanda, Ankara en Turquie et s’impressionne de l’œuvre de João Lourenço dont le coach fut Dos Santos, Kagame, Recep Tayyip Erdogan.
Je rappelle sa présentation au récent Forum du Fleuve Congo.

Vous avez tiré à boulets rouges... Je pense à ces phrases puissantes boules puantes : «Les mesures de privatisation du secteur minier, mises en œuvre par les Autorités de la IIIème République. Elles n’ont pas eu, sur l’économie nationale, l’impact financier positif escompté. En effet, elles n’ont pas impulsé l’industrie locale, ni contribué à l’amélioration de l’agriculture, de l’habitat, de l’enseignement, et encore moins à la construction de nouveaux réseaux ferroviaires. Malgré l’augmentation impressionnante de la production du cuivre par les entreprises privatisées, les recettes fiscales versées au Trésor public et les revenus destinés au pool des devises fortes n’ont pas pris de l’ascenseur, bien au contraire.

La réalité et l’observation des faits mettent en évidence que la privatisation du secteur minier a laissé sur les bords de la route du bien-être social les couches de la population qui vivaient encore de la prospérité de l’Etat. Ainsi, assistons-nous à un phénomène paradoxal d’asservissement des populations soixante ans après l’indépendance. Plus clairement, la population des régions minières vit aujourd’hui moins bien qu’elle ne vivait du temps de la colonie ou du temps du monopole de l’Etat».

- J’ai tiré à boulets rouges sur tous ceux qui ont fait ça. Si c’est lui qui se sent visé, je ne sais pas. Moi, ce n’est pas lui. C’est le régime que j’ai visé...
Après cette sortie, il a reçu une pluie de coups de fil. On en imagine le contenu.
Des cas comme quoi ça ! Bukanga Lonzo au Bandundu !

Les étudiants doivent être encouragés à y travailler et à en comprendre le sens.
Pourquoi les miniers du Katanga iraient-ils lancer une Université en ce nom ailleurs qu’au Katanga? Les étudiants peuvent élucider ça quand des leçons de gouvernance sont administrées à longueur de journée...
Une phrase de Mobutu revient : « L’erreur de Kasavubu a été de croire qu’on pouvait gouverner le Zaïre, Bible à la main».

« Mon texte est le message. Qu’il en fasse un programme décennal », ne cesse-t-il de répéter refusant toute déclaration formelle.
« Il n’est pas encore temps. De ma bouche, ce n’est pas encore le temps. Je suis en train de gérer moi-même mon temps...».
Je parie. Si le Président réussit, s’il prend les bonnes décisions, ce baobab ne sera pas loin.
KKM.


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